Anna Hope, trad. de l'anglais.
Gallimard, 385 p., 23 €.
Londres, dans les premiers jours de novembre 1920, attend le rapatriement du soldat inconnu. Pendant les journées qui précèdent son arrivée, nous suivons les destins de trois femmes, qui vont s'entrecroiser sans jamais se rencontrer. Trois femmes qui, d'une manière différente, ont vu leur vie bouleversée par la guerre. Evelyn, dont le fiancé a été tué au front, ne parvient pas à surmonter sa peine, s'aigrit, devient rude. Ada, dont le fils est mort dans des circonstances inconnues, continue à le voir dans la rue. Hettie, quant à elle, se demande comment échapper à sa condition, comment vivre sa vie de jeune fille dans l'atmosphère si pesante de l'après-guerre. Qu'elles soient mère, amante, ou soeur de ces soldats morts ou brisés, ces femmes à la douleur pudique doivent composer avec Le chagrin des vivants.
Un roman juste et sensible, à l'intrigue subtilement menée.
OLivier Bourdeaut
Finitude, 159 p., 15,50 €
Dans cette famille, la banalité est proscrite. Une vie de fêtes et de plaisirs, sans contraintes, toujours à la recherche de l'inattendu. Papa et maman dansent au son de "Mr. Bojangles" de Nina Simone, sous le regard émerveillé de leur fils, en présence du quatrième membre de la famille, "Mlle Superfétatoire", une grue de Numibie. Ils s'aiment, les amis sont nombreux, la grâce et l'émerveillement toujours intacts et la réalité bien loin de chez eux. L'enfant , narrateur de cette histoire, adore cette vie extravagante, même s'il est conscient qu'un autre ordre existe. Mais jusqu'où peut-on préserver cette existence irréelle? Jusqu'à quand cette fantaisie se tiendra-t-elle éloignée de la folie?
Une magnifique histoire d'amour fou où le désespoir se cache sous un voile de pudeur et de poésie.
Elena Ferrante, trad. de l'italien.
Gallimard, 553 p., 23.50€
Énorme coup de coeur pour ce roman qui raconte l'amitié entre Lila et Elena, 16 ans, à Naples, dans les années 60. À la fois ample, vivante et vibrante, cette fresque nous plonge dans la vie d'un quartier populaire en plein boom économique mais toujours dans une société dominée par les hommes. Ce roman d'apprentissage fouille sans concession les ressorts d'une amitié essentielle, pourtant faite de rivalités, cette saga nous fait vivre au rythme de ses personnages, et ceci avec une extrême sensibilté.
À lire aussi : L'amie prodigieuse, le premier volume (déjà paru en Folio) sur l'enfance de ces deux héroïnes inoubliables .
Emmanuel Régniez
Le Tripode, 141 pages, 15 €
"Tout a commencé un jeudi. Je ne peux pas me tromper de jour, puisque c'est le jeudi et uniquement le jeudi que je vais en ville. Il n'y a que ce jour-là que j'ai pu voir ce que j'ai vu. Je ne vais jamais en ville les autres jours."
Depuis la mort accidentelle de leurs parents, Octave et sa sœur Véra vivent reclus dans une très belle demeure qu'ils nomment "Notre Château". Ils passent leurs journées à lire dans l’immense bibliothèque qu’ils se sont constituée. Le monde d'Octave et de Véra est un monde de mots. Tous les soirs, ils se font la lecture à voix haute d'extraits sélectionnés. Ces extraits, ils les ont recopiés sur des fiches cartonnées, ce qui n'est pas sans nous rappeler les pratiques du personnage de L'ABC du gothique, le précédent livre de l'auteur. Tous les jeudis, Octave se rend en ville chez le libraire pour acheter des livres. C'est au cours d’une de ces sorties que le monde d'Octave va vaciller.
"Le jeudi 31 mars à 14h32, j'ai vu ma sœur dans le bus n°39 qui va de la Gare à la Cité des 3 Fontaines, en passant par l'Hôtel de Ville. Je vais tout de suite dire quelque chose : ma sœur ne prend jamais le bus, ma sœur ne va jamais en ville. Elle déteste aller en ville. Elle déteste la Ville."
La chose est d'autant plus troublante qu'à son retour, Octave trouve Véra à la maison et que celle-ci nie être sortie. S'ouvre alors dans l'esprit d'Octave le doute, tout comme dans l'esprit du lecteur. Peut-on faire confiance au narrateur de Notre Château? Ou bien sommes-nous emmenés dans le monde d'un esprit malade? Des éléments étranges continuent de se produire. Octave trouve une cigarette allumée alors qu'il a arrêté de fumer depuis longtemps. Un matin il se lève et prépare le café pour sa sœur et lui mais à son réveil celle-ci s'étonne : "Nous n'avons jamais bu de café le matin, en vingt ans, pas une seule fois. Tu n'aimes pas le café le matin. Je n'aime pas le café le matin." Le monde d'Octave s'effrite, se fissure et le roman vacille dans l'étrange. L'inquiétude s'installe et perturbe la bulle d'Octave et de Véra.
"De quoi a-t-on le plus peur ? De ses fantômes ou de ses fantasmes?" Pourquoi le passé vient toujours contaminer le présent? Qu'est-ce qui définit le réel ? " Nous vivons dans un monde mais il y en a tant d'autres possibles." "Je pense souvent aux mondes parallèles; aux mondes autres que le nôtre".
Notre château est un roman envoûtant, ensorcelant qui nous plonge dès les premières pages dans un huis clos obsédant. Par la musique de sa langue riche en répétitions et variations, redites et légers décalages, et un usage des superlatifs tout à fait extraordinaire, Emmanuel Régniez hypnotise son lecteur comme peut le faire un Philip Glass ou un Michael Nyman. Car si les références musicales de Notre Château vont à Schubert et Couperin, si le texte scande des comptines à la manière d'un conte classique, et si les références littéraires à la littérature gothique du XVIIIème siècle hantent ce livre, vous serez porté dans l'univers de Notre Château par une langue d'une grande modernité, des phrases courtes, un rythme rapide, un vocabulaire contemporain. Bref Notre château est un livre intense, dévorant, fascinant.