Tonino Benacquista
Gallimard, 240 pp., 19€
Ils sont deux, un homme, une femme, en cavale. Un soir, ils décident de s'arrêter, Les mariés malgré eux de Charles Knight se joue en ville, ils ne rateront pas cette représentation. La pièce met en scène des amants aussi admirés que maudits pour oser défier l'entendement des hommes au nom de leur passion. Reconnus dans la foule, le couple de Français devient les #runninglovers, ceux qui filent vers le Nord sans nous dévoiler ce qui les a mis au ban de la société et au coeur des attentions. Échappés de la scène, le couple de Knight a été séparé par une volonté divinie, ils parcourent des continents et bravent toutes les épreuves pour se rejoindre et s'aimer encore.
Dans ce roman, Tonino Benacquista se dévoile plus tendre et plus profond que dans certains de ses titres passés (mais surtout ne boudez pas votre plaisir de découvrir Saga ou Malavita). Dans ce double road-trip improbable, il interroge l'amour, la passion, les coutumes, la création, la foi, etc. Bref, il interroge l'Homme avec autant de péripéties que de justesse.
Jean-Paul Dubois
L'Olivier, 234 pages, 19€
Le nouveau roman de Jean-Paul Dubois met en scène un héros atypique, Paul Katrakilis. Ce jeune français a quitté son pays pour tenter l'aventure en Floride. Loin du cabinet provincial de son père, Paul, lui-même diplômé en médécine, a opté pour une carrière bien plus insolite. Sous le soleil de Miami il est joueur professionnel de cesta punta, une variante de la pelote basque. Les matchs s'enchaînent dans le plus grand Jaï-alaï de la ville. Les spectateurs misent des sommes folles sur leurs joueurs fétiches. Son quotidien est fait de sueur, de douleurs, mais aussi de rencontres avec d'autres sportifs en quête de reconnaissance et surtout d'argent.
Pourtant cette vie qu'il s'était créé, le plus loin possible de sa famille, bacsule le jour où le consulat de France lui apprend le décès de son père. Cela faisait plusieurs années que les deux hommes ne s'étaient pas parlé. Paul avait tiré un trait sur cette famille étrange : un grand-père russe réfugié en France, une mère au comportement ambigu avec son propre frère, un père médecin, taiseux et insensible. Tous se sont suicidés de manière spectaculaire. Son père n'a donc pas échappé à la règle. Paul rentre en France pour liquider les affaires de son père, bien décidé à rejoindre au plus vite le soleil de Floride. Mais c'est sans compter sur le poids du passé et la force du destin. Il est, en effet, bien difficile d'échapper à un héritage familial. Paul va plonger au coeur de l'histoire de sa famille et découvrir des facettes de la personnalité de son père qu'il ne soupçonnait pas. La succession n'est peut-être pas le meilleur roman de Jean-Paul Dubois, mais on se laisse séduire par le personnage de Paul Katrakilis et par son obstination à vaincre la malédiction familiale.
Françoise Cloarec
Stock, 347 pages, 22.45€
En dressant le portrait de Marthe, sa compagne pendant plus de cinquante ans, c'est tout l'univers du peinte Pierre Bonnard que Françoise Cloarec nous fait découvrir. On partage le quotidien de son atelier, on côtoie avec lui les plus grands tels que Monet, Vuillard, Matisse... On vit les périodes de joie, les vacances à la mer, les séjours parisiens, mais aussi les sautes d'humeur de Marthe, les longues semaines d'allitement à cause de sa santé fragile, les années sombres de la guerre.
C'est en 1893 que l'artiste rencontre, à Paris, une jeune vendeuse de fleurs artificielles. Elle a seize ans, est orpheline et se nomme Marthe de Méligny. Pour Pierre c'est le coup de foudre, il met tout en oeuvre pour séduire la jeune fille. Marthe n'est pas difficile à convaincre; elle aussi est séduite par l'artiste. Il correspond tout à fait à ce qu'elle est venue chercher en montant à Paris. Marthe devient la muse de Pierre, son modèle presque exclusif. Ils vivront une passion dévorante, se marieront après quinze ans de vie commune, mais n'auront jamais d'enfant. Mais ce que Pierre ignore, c'est que Marthe a laissé derrière elle sa province, sa famille, ses amis, son ancienne vie et s'est inventé une nouvelle identité. En réalité Marthe s'appelle Marie Boursin, elle n'est pas orpheline et, surtout, elle n'est pas fille unique. En 1942, à la mort de Mathe, Pierre vivra le drame de sa vie et découvrira la vérité. Ce ne sont pas les mensonges de sa femme qui le brise mais l'énorme scandale provoqué par les déboires judiciaires du peintre qui n'avait pas compté sur l'existence d'héritiers. Un procès retentissant qui aura de nombreuses répercussions sur la reconnaissance des droits d'auteur pour les artistes attend le peintre. Ce sont quelques millions qui sont en jeu, sans compter toutes les toiles encore entreposées dans l'atelier de Bonnard. Si elles ont à peine connu leur tante, les nièces de Marthe comptent bien recevoir une part du gâteau ! Laissez-vous interpeller par le contraste entre la naïveté de leur amour et la rudesse des débats judiciaires.
Voici quelques idées de lecture pour tous les goûts, de tous les styles, de toutes tailles, pour combler toutes vos envies.
Trois romans et trois occasions de ressusciter le passé. Suspendre le temps - à la faveur d’un voyage aux Philippines (Avenue des mystères de John Irving), d’un interminable été (Retour à Oakpine de Ron Carlson) ou de la recherche d’un frère perdu (Les vieux ne pleurent jamais de Céline Curiol). Et regarder derrière soi avec tendresse et nostalgie. Trois occasions aussi de panser les vieilles blessures, d’exorciser les démons qui nous hantent pour finalement regarder avec sérénité ce qu’il reste du chemin à parcourir.
Trois femmes, trois écrivaines, trois sensibilités pour nous livrer trois livres très touchants: M Train de Patti Smith, Personne ne disparaît de Catherine Lacey et Mémoire de fille d'Annie Ernaux.
On peut toujours compter sur les auteurs américains pour nous offrir de grands romans intelligents, profonds, bien construits, qui tiennent en haleine pour de longues heures. Purity de Jonathan Franzen et City on fire, premier roman de Garth Risk Hallberg, sont deux récits éblouissants de maîtrise, à l'intrigue extrêmement bien menée.
Deux grandes sagas peuplées de personnages inoubliables nous ont enchantés par leur souffle, leur ampleur. Dans Les rues d'hier, nous suivons le destin d'une grande famille juive de la bourgeoisie de Francfort à travers la première moitié du XXe siècle, tandis que Nulle part de l'Indien Kalyan Ray nous entraîne de l'Irlande à l'Inde, en passant par l'Europe de l'Est et New York, au gré de nombreux rebondissements. Énorme coup de coeur également pour Le nouveau nom, fresque vivante, vibrante qui raconte l'amitié entre Lila et Elena, à Naples dans les années 50. À la fois plongée dans la vie d'un quartier populaire dans une époque de boom économique, dans une société dominée par les hommes, et roman d'apprentissage qui fouille sans concession les ressorts d'une amitié essentielle et pourtant faite de rivalités, cette saga nous fait vivre au rythme de ses personnages, et ceci avec une extrême sensibilité.
Des personnages à la destinée hors du commun, aux prises avec les tourmentsde l'Histoire, sont au coeur de très beaux livres. Tout d'abord, Invisible sous la lumière ou le destin tourmenté et riche aussi d'une des premières femmes athlètes. La route étroite vers le nord lointain : un médecin australien dans un camp de prisonniers, contraints de participer à ce projet fou de construction de la "voix ferrée de la mort" à travers la jungle birmane. À l'orée du verger, de Tracy Chevalier dont le talent de conteuse fait à nouveau merveille dans ce beau roman dans le monde des pionniers américains.
Deux auteurs, deux découvertes : traduits pour la première fois, ils font preuve d'une maîtrise étonnante. Un bref mariage, d'un écrivain srilankais, est l'histoire poignante d'un jeune garçon dans un camp de réfugiés, déjà très abîmé par les coups du destin, qui le temps de quelques moments, redécouvrira la douceur. Ensuite, Les étoiles s'éteignent à l'aube, d'un auteur appartenant à la nation ojibwé, raconte une rencontre père-fils, dans les contrées sauvages du Canada.
Deux, trois petites choses à deguster également : un beau roman d'amour fantasque et poignant avec En attendant Bojangles. Ainsi que deux voyages japonais avec un récit poétique et charmant, une ode à la cuisine et à la vie, Les délices de Tokyo, et la simplicité délicate d'un récit de Shimazaki, Hôzuki.
Terminons en beauté avec La maison dans laquelle. Fascinant mélange entre un Harry Potter écrit sous acide et la noirceur de Sa Majesté des mouches. La Maison dans laquelle est un roman qui laisse sans souffle. Car la Maison enveloppe, oppresse et libère tout à la fois. Dans cet univers clos et hors du temps, des adolescents vivent, grandissent, construisent leur normes, leur hiérarchie, leur mythologie. Toute la beauté de l’enfance et toute la cruauté du monde s’y retrouvent piégées. Un roman unique et déjà culte, pour ceux qui auront eu le courage de s’y atteler.