Marie-Hélène Lafon
Editeur : Buchet-Chastel Réserver ou commander
Après son magnifique Le fils, Marie-Hélène Lafon revient ce mois-ci avec le non moins splendide Les sources où nous suivons dans les années 1970 le quotidien d'un couple et de leurs trois enfants dans une ferme isolée au coeur du Cantal. Incroyable petit roman composé de trois parties où chaque phrase se fait joyau de mots et de silence pour raconter les non dits, les secrets, les coups portés, l'asphyxie et laisse le lecteur stupéfait tant l'autrice maîtrise ses sujets : la terre, le couple, le milieu familial qui se fissure, le courage et la lumière comme ultimes issues.
Les sources est d'une beauté fulgurante.
Le dernier des siens, Sybille Grimbert (Anne Carrière, 18€90) : 1835. Gus, un jeune scientifique français, après avoir assisté au massacre de la colonie par des marins, recueille un grand pingouin blessé. Il souhaite l’envoyer, mort ou vivant, à un musée en France, dans le but de faire avancer sa carrière. Mais petit à petit, nait entre l’homme et l’animal un attachement profond et bouleversant. C’est un roman magnifique où on voit un homme commencer à prendre conscience du soin et de l’attention à apporter à une espèce plus vulnérable et dépendante de l’action de l’homme, à une époque où ces questions sont de peu d’importance.
La montagne et les pères, Joe Wilkins, trad. De l’anglais (E.U.) (Gallmeister, 23€40) : Au fil de courts chapitres, le narrateur nous fait revivre son enfance dans les plaines asséchées du Big Dry dans le Montana. Ayant perdu son père à l’âge de 7 ans, l’auteur évoque tous ces hommes bons, durs à la tâche, plutôt taiseux et pudiques, qui chacun à leur manière l’ont aidé à survivre à cette mort précoce, notamment son grand-père, un rude fermier juste et protecteur, un professeur rebelle ou un vieil ivrogne qui vient aider la famille. C’est beau, tendre , mélancolique. A découvrir absolument
Clara lit Proust, Stéphane Carlier (Gallimard, 18€50) : Clara est coiffeuse à Chalon-sur-Soane. Un jour elle trouve un exemplaire de La recherche du temps perdu dans le salon de coiffure. Elle le reprend distraitement chez elle, l’ouvre un peu plus tard encore plus distraitement, et là, c’est la révélation : Proust la comprend, et lui donne toutes les clefs pour déchiffrer sa vie, qui s’en trouvera bouleversée. Léger et pétillant, une friandise qui donne envie de se plonger dans l’œuvre de Proust.
Le royaume désuni, Jonathan Coe, trad. De l’anglais (G. B.) (Gallimard, 23€) : Un roman comme on les aime, ample, intelligent, emportant le lecteur à la suite d’une galerie de personnages, dans une grande fresque qui raconte l’histoire de la Grande Bretagne. L’auteur fait débuter cette saga familiale en 1945, et suit l’évolution de cette famille de Birmingham au fil de sept épisodes marquants de l’histoire britannique : la libération, le couronnement de la reine, la finale de la coupe du monde, le mariage de Charles et Diana, ses funérailles, l’arrivée de Boris Johnson. Absolument passionnant.
D’autres étoiles, Ingvild H. Rishoi, trad. du norvégien (Mercure de France, 17 €) : Un conte de Noël de toute beauté, à la fois douloureux, drôle et sensible. Ronya, 10 ans, et Melissa, 16 ans, vivent avec leur père, un être adorable mais totalement défaillant. Pour les deux sœurs, c’est l’heure de la débrouille afin d’assurer leur subsistance et ne pas se faire repérer par les services sociaux. Racontée par Ronya, sur un ton plein d’humour et de tendresse, une histoire qui serre le cœur et fait du bien en même temps.
La main sur le cœur, Yves Harté (Les Passe-murailles, 18€90) : Qui est le modèle du célèbre tableau du Greco « Le chevalier à la main sur la poitrine » ? D’une notice à l’autre, il s’agit d’un obscur notable ou d’un aventurier du Siècle d’or. Que croire ? Un récit qui vous emporte vers l’Espagne du XVIe siècle. La main sur le cœur est une enquête digne d’un polar historique, sur les traces du chevalier sur le tableau du grand peintre. Entre Tolède, le Prado, l’art, l’histoire, un récit sensible et passionnant.
La mémoire de l’eau, Miranda Cowley Heller, trad. de l’anglais (Presses de la Cité, 23 €) : Ellie, mariée à Peter et mère de trois enfants, retrouve un soir son amour de jeunesse Jonas, et le désir renait entre eux. Elle va devoir choisir entre sa vie paisible avec son adorable mari, ou son amour de toujours avec Jonas dont une tragédie l’avait éloigné. Dans ce premier roman, l’auteur trouve des mots justes et limpides pour décrire les ambiguités et la complexité des émotions, les secrets enfouis, les blessures d’enfance, pour construire un magnifique portrait de femme sensible.
Bones Bay, Becky Manawatu, trad. de l’anglais (N-Z) (Au vent des Iles, 23 €) : Nouvelle-Zélande aujourd’hui. Taukiri emmène son petit frère, huit ans et demi, et le confie à son oncle et à sa tante, après le décès accidentel de leurs parents. Lui-même prend la route vers l’autre côté de l’île, avec sa guitare et sa planche de surf. Le roman va faire alterner les voix de ces enfants en plein désarroi, qui cherchent à trouver leur place en ce monde et entrevoir des éclats de lumière et de poésie, au milieu de la violence de ce monde.
On était des loups, Sandrine Collette (Lattès, 20€) : Un roman noir, puissant, sauvage, qui met en scène un homme éperdu, fou de douleur après la mort de sa femme, décidé à confier son enfant terrifié à d’autres que lui, sous peine de commettre le pire. Cet homme rugueux, en marge de la société, vivant au plus près de nature, cet homme qui ne veut pas être père emmène cet enfant dans un road trip dans les grands espaces sauvages et le lecteur ne peut qu’espérer entrevoir une lueur d’humanité au bout de ce terrible voyage.
Cupidité, Deon Meyer, trad. de l’afrikaans (Gallimard, Série Noire, 20€) : Dans cette nouvelle enquête, le duo Benny Griessel et Vaughn Cupido, retrogradés au rang de simples enquêteurs pour cause d’insoumission aux ordres de leur hiérarchie, sont chargés d’éclaircir la disparition d’un étudiant en informatique. En principe, aucun lien avec ine sombre affaire de magouilles immobilières… si ce n’est la cupidité peut-être.
Deon Meyer excelle à décrire une Afrique du Sud corrompue, à travers une intrigue complexe et passionnante.
Je t’attends, Gytha Lodge, trad. De l’anglais (Fayard, 22€90) : Aurora, 14 ans, a disparu alors qu’elle campait dans les bois avec sa sœur et ses copains plus âgés. Trente ans plus tard, son corps est retrouvé. Tous les ados présents le soir de la disparition de la jeune fille forment encore une bande d’amis très soudés et occupent des fonctions importantes aujourd’hui. Pourtant le coupable pourrait bien se trouver parmi eux. L’inspecteur Sheens, en les interrogeant tour à tour fait tomber les barrières et déterre les secrets. Mais lui-même, est-il tout à fait innocent dans cette histoire ?
Gytha Lodge, une nouvelle voix du polar psychologique à découvrir.
La baignoire de Staline, Renaud S. Lyautey (Seuil, 18€50) : René Turpin, diplomate français en poste à Tbilissi, suit de près l’enquête menée par la police géorgienne sur la mort d’un jeune ressortissant de l’hexagone, retrouvé assassiné dans la chambre d’un grand hôtel. Ecrit par un écrivain-diplomate, ce roman policier plonge le lecteur dans l’histoire et la géopolitique de cette région sensible, qui a vu naître Béria et Staline. Instructif, amusant et bien écrit, c’est un plaisir de lecture.
Slava : après la chute de Pierre-Henry Gomont (Dargaud, 20€50) : Au coeur de la Russie des années 1990, dans un bâtiment abandonné, Dimitri Lavrine, un trafiquant sans scrupules, et Slava Segalov, un ancien étudiant en arts idéaliste, tentent de mettre la main sur toutes sortes d'objets pour les revendre. Mais rien ne se passe comme prévu... Un road-movie rocambolesque et trépidant, des personnages pittoresques, lamentables ou drôles font de cette BD un must absolu de l'humour et de l'aventure. On en redemande !
Merel de Clara Lodewick (Dupuis, 24€) : Merel, quadragénaire célibataire, partage son temps libre entre l'élevage de canards, le club de football et l'écriture. Son existence paisible est bouleversée le soir où elle fait une blague sur la sexualité du mari de l'une de ses voisines. Dès lors, une rumeur court à son sujet selon laquelle elle aurait des relations sexuelles avec tous les hommes du village... Clara Lodewick, jeune dessinatrice belge, nous offre une histoire épatante de maturité sur les faiblesses de l'être humain. Son récit, sensible, explore le thème de la rumeur. Jusqu'à quel point peut-elle tout dévaster ? Grâce à des dessins semi-réalistes (on pense à ceux de Camille Jourdy), Merel marque durablement le lecteur grâce à la finesse de sa psychologie. Un vrai coup de coeur !
Breakwater de Katriona Chapman (Futuropolis, 21€) : Le Breakwater, ce cinéma de Brighton, a définitivement connu des jours meilleurs : autrefois grande et somptueuse cette salle est désormais vide à l'exception des souris, des oiseaux, des employés occasionnels en pause, et de quelques rares spectateurs habitués. Assez étrangement, cependant, il est toujours en activité, détenu de manière indépendante par un vieil alcoolique. Chris est une femme introvertie d'une quarantaine d'années, isolée socialement et sous-employée, apparemment par choix, dont les rêves d'un diplôme en travail social sont depuis longtemps derrière elle. Mais, lorsque le nouveau venu Dan commence à travailler au Breakwater, il ravive le désir en elle de retourner peut-être à ses études et faire autre chose de sa vie malgré - ou peut-être à cause de - leurs différences évidentes. Au fil des jours, une amitié va naître... Finesse et élégance sont les maître-mots de ce roman graphique tout en douceur et en mélancolie. Sur un thème peu exploité en Bd , l'amitié professionnelle, et souligné par un noir et blanc superbe, l'autrice Katriona Chapman, nous offre une histoire intimiste et bouleversante d'une grâce inouïe. A découvrir absolument !
Hoka Hey de Neyef (Rue de Sèvres/ Label 619, 22€90) : Jeune Lakota élevé par le pasteur blanc qui administre sa réserve, Georges rêve de devenir médecin, le premier parmi les indiens... Il croise la route de Little Knife, Amérindien froid et violent à la recherche du meurtrier de sa mère. Accompagné de ses deux comparses, ce dernier arrache Georges à sa vie et l'embarque dans sa vengeance. Pendant quelques jours, Georges va suivre les trois hors-la-loi qui vont lui apprendre ce qu'est la culture Lakota, et sa culture qu'il a oublié... A travers les magnifiques paysages de l'Ouest sauvage, Hoka Hey nous offre, grâce à un travail graphique somptueux, une histoire de vengeance et d'assimilation culturelle entre blancs et indiens. Un western au top !
Perpendiculaire au soleil de Valentine Cuny-Le Callet (Delcourt, 34€95) : En 2016, à 19 ans, Valentine Cuny-Le Callet débute une correspondance avec Renaldo McGirth, incarcéré depuis plus de dix ans en Floride pour un meurtre commis à l'âge de 18 ans. De ces échanges épistolaires puis des visites en prison naît ce projet de récit graphique, montrant la brutalité du système carcéral et la détermination des condamnés à construire leur vie malgré tout. Un roman graphique d'une puissance rare et un témoignage sur le système carcéral américain. Grâce à des illustrations inoubliables (crayon et gravure sur bois), Perpendiculaire au soleil devient au fil des pages un hommage à la vie, à l'art et à la lutte.
Journal inquiet d'Istanbul d'Ersin Karabulut (Dargaud, 23€) : Auteur turc de bande dessinée, Ersin Karabulut retrace son parcours d'artiste et de citoyen lambda tout en brossant le portrait d'un pays tiraillé par des antagonismes politiques et sociétaux profonds. A travers son histoire, il alerte sur l'importance de la liberté d'expression et de la liberté de la presse dans la Turquie d'Erdogan. Piquante, vive et drôle, cette BD qui entre en écho avec celle de Riad Satouf, L'arabe du futur, est une réussite totale et un témoignage passionnant et courageux. Une BD qui réveille !
Un pied au paradis de Michele Foletti (Sarbacane, 26€) : Oconee, comté rural des Appalaches du Sud, années 1950. Holland Winchester a mystérieusement disparu. Sa mère est persuadée qu'il a été assassiné. Etudiant tout à tour le point de vue du shérif, du suspect, de son épouse, Un pied au paradis (adapté du roman eponyme de Ron Rash) est une Bd qui fait mouche grâce à la qualité de son scénario et de sa construction. On pense à Steinbeck en la lisant, preuve de sa beauté !
La dernière reine de Jean-Marc Rochette (Casterman, 30€) : Gueule cassée de la guerre 1914-1918, Edouard Roux se réfugie dans l'atelier de la sculptrice animalière Jeanne Sauvage, qui lui redonne un visage et l'introduit dans le milieu artistique de Montmartre. En échange, Edouard lui fait découvrir le plateau du Vercors et l'histoire du dernier ours qu'il a vu tué lorsqu'il était enfant. Hymne aux forêts, à l'amour et à la vie sauvage, une BD remarquable tant par ses dessins (ce blanc virginal et ce bleu !) que son scénario, véritablement somptueux. Un des grands titres de cette année !
Les pizzlys de Jérémie Moreau (Delcourt, 29€95) : Chauffeur Uber à Paris, Nathan travaille d'arrache-pied pour subvenir aux besoins de son frère et de sa soeur. Privé de GPS lorsque son téléphone tombe en panne, il est victime d'un accident. Sa dernière cliente, Annie, l'invite alors à venir vivre en forêt au coeur de l'Alaska... Jérémie Moreau, dans ce splendide roman graphique raconte les hommes, la nature, ses fondements, et explore avec brio le XXIième siècle et ses contradictions. Les pizzlys est LA bd de cette fin d'année et nous offre un sublime voyage vers le Grand Nord américain au cœur des mythes des Amérindiens d'Alaska. Un magnifique récit onirique et écologique.
Cache-cache bâton d'Emmanuel Lepage (Futuropolis, 22€90) : De la première à la dernière de ces 302 pages sublimes, en enquêtant sur la communauté dans laquelle il a grandi en Bretagne, l'auteur Emmanuel Lepage interroge notre place, notre identité. D’où venons-nous ? « On est de son enfance » : la sienne découle du rêve un peu fou de ses parents et de cinq couples, qui ont voulu inventer une nouvelle manière de vivre ensemble dans un habitat partagé, près de Rennes, dans les années 1970. En partant de son récit familial, Emmanuel Lepage y mène une grande enquête à la fois intime et universelle et explore ainsi l’enfance, le partage, l’engagement et la transmission. Une BD documentaire qui vous marquera durablement. Et graphiquement, ça n'a jamais été aussi superbe.
Abattoir 5 ou la croisade des enfants de Kurt Vonnegut, Ryan North et Albert Monteys (Seuil/Du sous-sol, 23€) : Billy Pilgrim mène plusieurs existences simultanées dans le temps et l'espace. Il est ce vieil opticien qui perd la tête, ce tout jeune vétéran qui revit sa lune de miel et cet humain que les Trafalmadoriens ont kidnappé pour le présenter dans un zoo. Mais il est surtout ce soldat américain prisonnier dans un abattoir de Dresde pendant le bombardement de la ville et sa destruction totale en 1945. Amer, acerbe, drôle, ce roman graphique est une exceptionnelle adaptation du classique de la science fiction de Kurt Vonnegut et une vision tragiquement burlesque de la guerre.
Hanya Yanagihara
Traduit de l'anglais (usa) par Marc Amfreville
Editeur : Grasset Réserver ou commander
Au travers de trois siècles, Vers le paradis suit l’un ou l’autre membre de la famille Bingham et questionne la notion de liberté.
Tout d’abord David fin XIXe siècle. Il est le digne descendant d’un des fondateurs des Etats Libres, états plus démocratiques et humanistes d’Amérique du nord où l’on se marie sans distinction de sexe tandis que le sud est encore esclavagiste et l’ouest sauvage. Le livre II suit un autre David Bingham vivant à New-York en 1993 en plein dans les années sida. Son père l’appelle Kawika car il est originaire d’Hawaï là où vit ou plutôt survit ce père aimant mais inadapté au monde qui l’entoure. Dans le livre III, nous suivons Charlie, petite fille d’un grand scientifique influent dans un monde totalitaire où la température est très élevée et où les épidémies s’enchaînent.
Vous l’aurez compris, au travers de la famille Bingham, c’est toute l’humanité qui est visée et nombre des problématiques d’aujourd’hui, climat, épidémie, genre, sont traitées dans ce livre monde de plus de huit cents pages. Malgré tout quand on le ferme on en voudrait encore tant le charme opère. Hanya Yangihara est une conteuse talentueuse qui sait brouiller les pistes pour nous faire réfléchir. Avec rigueur et mesure, elle nous conduit à de nombreuses prises de conscience tout en nous procurant un grand plaisir de lecture. Un grand livre, nous vous les recommandons chaudement.