Ilaria Gaspari
Traduit de l'italien par Romane Lafore
Editeur : PUF Réserver ou commander
Mêlant descriptions de ses états d'âme, histoire de la philosophie et analyse de notre époque, Ilaria Gaspari réhabilite les émotions en tant que sujet philosophique et démontre leur importance pour avancer dans la pensée. Un essai inclassable qui a le bonheur de rendre la philosophie accessible, drôle et intelligente.
Femmes invisibles de Caroline Criado Perez (First) : Par de nombreux exemples, l'autrice démontre la manière dont le monde qui nous entoure est pensé et conçu par et pour les hommes. Un essai qui résonne avec l'actualité et la mise en lumière de tous ces jobs indispensables, peu valorisés et peu payants, occupés presqu'exclusivement par des femmes.
Les affranchis de Thierry Roth (Érès) : un texte très intéressant et qui porte sur la clinique des addictions. Il dresse le constat de la recrudescence des patients "addicts", fait un lien avec la société libérale et souhaite que la psychanalyse investisse ce terrain (sinon laissé à la psychiatrie).
Terra incognita, une histoire de l'ignorance d'Alain Corbin (Albin Michel): L'auteur retrace l'histoire de l'Homme au moment où celui-ci commence à chercher à comprendre les événements qui l'entoure et à les voir autrement que simplement "l'oeuvre de Dieu" : catastrophes naturelles, ères géologiques, fossiles,... Si le style n'est pas toujours au rendez-vous, le sujet différent est intéresant et passionnant!
Rendre le monde indisponible de Harmut Rosa (La découverte) : Qu'en est-il de notre accès toujours plus large au monde? Est-il souhaitable ? Harmut Rosa, philosophe et sociologue spécialiste du temps, nous invite à revisiter la notion d'insdiponibilité.
Chez soi. Une odyssée de l'espace domestique
Mona Chollet, Éditions Zones, 325 p., 19,70€
Mona Chollet est journaliste auMonde diplomatique.
Elle a notamment publiéLa tyrannie de la réalité(éditions La Découverte) etBeauté fatale. Les nouveaux visages d’une aliénation féminine(éditions Zones).
«La mauvaise réputation »
La maison abrite la rêverie, la maison protège le rêveur, la maison nous permet de rêver en paix. Il n’y a pas que les pensées et les expériences qui sanctionnent les valeurs humaines. Gaston Bachelard
Aujourd’hui l’agitation est devenue norme ; il nous faut, sans répit, rester actifs. S’extraire du tumulte du monde pour jouir de la solitude de son espace domestique est devenu suspect. Le goût du confort domestique et de l’aménagement intérieur sont considérés comme autant de réflexes petit-bourgeois individualistes qui entraveraient l’ouverture au monde et la curiosité.
Pour Mona Chollet, au contraire, ces moments passés à l’abri offrent les ressources nécessaires pour découvrir le monde différemment, en y accédant autrement que via les impératifs et les contraintes qui façonnent la vie sociale aujourd’hui. « La maison desserre l’étau », écrit-elle, intégrant les critiques dénonçant l’individualisme pour mieux s’en défaire : sans ce recours à la solitude, sans cette «base de repli » qu’est l’espace domestique, on ne peut apporter de contribution satisfaisante à la vie collective.
Fantasmes et réalité
Dans une société où nous sommes sans relâche arrachés à nous-mêmes, comment aller vers soi sans encombre? Raoul Vaneigem
Dans cet essai, Mona Chollet ne se contente pas de faire l’apologie du foyer, elle dénonce surtout la manière dont notre rapport à la maison est révélateur des tensions qui caractérisent notre époque : le manque d’espace et le manque de temps. Car pour pouvoir habiter un espace, encore faut-il y avoir accès ainsi que le temps de l’investir.
L’habitation est sans doute le lieu le plus révélateur des inégalités et des rapports de domination qui frappent le monde. La crise immobilière de 2008 liée aux subprimes et ses conséquences dramatiques sur le logement en sont l’un des exemples les plus frappants.
Le matraquage marketing autour du « petit espace, chaleureux et cosy » dont IKEA est le fer de lance, ou le mythe de la Tiny House, petite cabane où l’on peut vivre en autonomie partielle et accéder à la propriété à bas coût témoignent aussi de la manière dont les discours dominants/dominateurs ont profondément modifié notre manière de voir les choses. En effet, ce fantasme du living small ne doit pas masquer que c’est bien le manque d’autres possibilités qui dirige notre choix et qu’«il ne s’en faut pas de beaucoup pour que le carrosse du petit espace "malin"redevienne la citrouille du mal-logement », car voilà bien la réalité derrière les belles promesses.
Quant au temps passé chez soi, il souffre d’un manque de considération inversement proportionnel à la valeur accordée au travail. Le travail, la productivité – la croissance ! – sont les maîtres mots de notre société. La doxa économique a ainsi transformé notre manière de vivre et d’aborder les périodes de temps libre. De manière pernicieuse, la culpabilité a remplacé le plaisir de rêver, créer, dormir. Ne rien faire est subversif ; dorénavant on aime « se tenir occupé », on raille les lève-tard, sans parler du discours tenu à l’encontre des chômeurs, ces « assistés », « faiinéants » qui ne participent pas à l’affairement frénétique qui a remplacé toute autre notion du temps.
On l’aura compris, l’essai dont il est question ici, sous couvert d’un sujet léger a priori, est en réalité un ouvrage dense et très documenté qui balaye tous les domaines de la culture, de la philosophie, de l’architecture, de la politique, des nouvelles technologies, du féminisme… Un livre passionnant, à dévorer bien au chaud… chez soi !