Éloge de l'oisiveté, Bertrand Russell, Éditons Allia, 6€20
Dans ce petit essai, paru pour la première fois en 1932, Bertrand Russell s'en prend à la morale qui érige le travail comme valeur absolue de nos sociétés. Il l'accuse au contraire d'être « la cause de grands maux dans le monde moderne ».
Refusant que les notions de vacances et de temps libre ne se résument au repos des corps, il milite pour une journée de travail de quatre heures permettant de redécouvrir le « bon usage du loisir », actif et libéré de toute contrainte d'efficacité.
Près de cent ans plus tard, nous enrichissons notre vocabulaire de mots tels que « burn out » ou « workaholic », illustrant les dérives de cette « vertu » anthropophage. En effet, les troubles psychiques liés au travail n'ont cessé d'augmenter. Les arguments de Russell, toujours aussi vifs, résonnent désormais comme un avertissement...
L'épanouissement personnel, qui n'a pourtant jamais été autant recherché, semble de plus en plus difficile à concilier avec notre manière de vivre. Et si, comme nous l'affirme brillamment le philosophe, « la voie du bonheur et de la prospérité [devait] passer par la diminution méthodique du travail » ?
L'influence de l'odeur des croissants chauds sur la bonté humaine, Ruwen Ogien, Le livre de poche, 7€40
Véritable « Petit cours d'autodéfense intellectuelle contre le moralisme », comme le sous-titre lui-même l'auteur, cet essai se joue de notre bien-pensance et démonte avec imagination, humour et beaucoup de pédagogie les idées préconçues qui nous habitent en matière d'imaginaire bien/mal, juste/injuste, blanc/noir.
Passée l'introduction où Ogien nous dessine les contours de sa philosophie pratique, le livre s'organise en différentes « expériences de pensées », dont le but est de faire vaciller nos jugements moraux, en les confrontant aux règles élémentaires du raisonnement éthique, moral et déontologique.
Ainsi l'on se retrouve tour à tour : chauffeur de tramway devant choisir entre épargner la vie d'un homme sur la voie ou tuer l'ensemble de ses passagers, juge livrant un innocent à une foule déchaînée pour éviter un massacre ou encore pagayant sur un bateau en jetant des chimpanzés à la mer afin de sauver quelques adultes comateux...
S'il est parfois déconcertant de voir notre intuition première aussi rudement mise à mal, la satisfaction d'avoir compris la nécessité de prendre du recul par rapport à nos réactions spontanées est, elle, immédiate.
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Pour la première fois est proposée, en édition bilingue (latin-français), la totalité des Adages d'Erasme. Ce sont 4151 adages expliqués, commentés, accompagnés des citations latines et grecques ; de « Entre amis, tout est commun. » à « Plus ancien que Japet », Erasme partage ses enthousiasmes, ses découvertes, ses étonnements, en un style léger, proche de la discussion, et bien loin des traités dogmatiques.
C'est à un traité de littérature gréco-romaine que nous convie aussi Erasme, puisque lire les adages, c'est aussi parcourir les auteurs grecs et latins. Entre l'Anatomie de la Mélancolie, de Burton, et les Essais de Montaigne, il y a Les Adages d'Erasme ; un de ces livres sommes qui tentent, ont tenté, de cerner le monde.
« Adage 1019. Mener par le bout du nez
Être mené par le bout du nez signifie être transporté dans une direction qu'on ne choisit pas mais que veut quelqu'un d'autre. L'image est empruntée aux boeufs à qui l'on met un anneau au bout du nez, comme un mors à un cheval, pour les mener où l'on veut. Les chevaux aussi ont une pièce en bois ou en fer enfoncée dans leur nez, ou même dans leur bouche, pour retenir leur fougue. Cet instrument, dit Nonius, est appelé prostomis.
Lucien, dans le Dialogue entre Junon et Jupiter : « Il se montre ton maître dans tous les domaines. Il te fait avancer, te tourne dans tous les sens, en te menant, comme on dit, par le bout du nez ».Le même dans Les Sectes : « Rien n'empêchera le premier venu de te mener par le bout du nez ». « Être mené par la peau du cou » se dit de ceux qui sont forcés de faire quelque chose, qu'ils le veuillent ou non.
Philostrate, dans la Vie d'Héliodore, semble avoir utilisé l'expression « être mené par le menton » avec le même sens : « Mais il l'a conduit au tribunal contre sa volonté, en le menant par le menton ». C'est une image empruntée aux chevaux que les écuyers mènent par la lèvre inférieure, en attendant de mettre la bride. »
Erasme, Les Adages, Belles Lettres, 5 volumes sous coffret, 199 euros.
Et pour ne pas faire de jaloux, voici une liste d'essais pour vos vacances...
Jean Bollack, Au jour le jour, ed. PUF, 1150 pages, 29€
Dernier Livre de Jean Bollack, mort en 2012. Un ensemble encyclopédique, morcelé et cohérent, dans lequel l'auteur s'exprime sur les sujets qui lui ont tenu à coeur toute sa vie, personnelle et de chercheur : l'Allemagne, Homère, la poésie, Celan, l'herméneutique, le Proche-Orient, ... Des propos extraits de ses journaux personnels et qui sont la meilleure introduction à l'oeuvre et à la démarche de Jean Bollack.
Véronique Bergen, Le corps glorieux de la top-modèle , ed. Lignes, 140 pages, 14€
La mode n’est plus confinée à la sphère de la parure, du stylisme mais elle dicte une manière d’être au monde. La diffusion de la mode, sa récente montée en puissance importe moins que ce qu’elle met en jeu au niveau de la pensée. En analysant le système de la mode, de son rapport au corps, Véronique Bergen propose une analyse de notre société.
Agnès Bressolette, Nés vulnérables, petites leçons de fin de vie, ed. PUF, 155 pages, 14€
À partir de son expérience de psychologue dans un service de soins palliatifs, l’auteure tente de dire ce qui met à mal. Ce temps de fin de vie n’est pas un temps de vaine attente. Beaucoup de choses se vivent ou remontent à la surface, des parts en soi jamais entendues qui cherchent un lieu pour se déposer et se transformer. Face à la maladie qui s’impose et plonge dans le chaos, savoir que l’on n’est pas seul, faire l’expérience d’être porté comme à notre origine, peut réveiller « l’enfant rieur » qui sommeille en nous et nous mettre en contact avec des forces insoupçonnées, profondes, qui nous portent vers la vie et nous donnent la force de supporter l’insupportable.
Pascal Chabot, Global Burn-Out, ed. PUF, 150 pages, 15€
Le voilà l'essai sur le burn-out, celui qui l'analyse non pas d'un point de vue clinique, mais d'un point de vue philosophique. Le burn-out n'est pas seulement un problème individuel il est aussi une pathologie de civilisation. Parler du burn-out, c'est parler de notre époque, analyser le burn-out, c'est analyser notre époque.
André Green, Penser la psychanalyse, ed. Ithaque, 180 pages, 20€
Recueil d'articles du psychanalyste André Green, des lectures critiques de ses contemporains : Bion, Lacan, Laplanche, Aulagnier, Anzieu, Rosolato. Approches qui sont autant des éclairages sur les oeuvres de ces psychanalystes qu'une introduction à celle d'André Green. Ce sont autant de chemins pour nous guider et nous mener au coeur de la clinique contemporaine.
Notons qu'est paru en même temps, chez le même éditeur, Dialoguer avec André Green (entretiens avec Fernando Urribarri), manière de parcourir la totalité de l'oeuvre d'André Green.
Jacques Lacan, Séminaire, livre VI, Le désir et son interprétation, ed. La Martinière, Le Champ Freudien, 620 pages, 29€
C'est le séminaire des années 1958-1959. « Que montre Lacan ? Que le désir n'est pas une fonction biologique ; qu'il n'est pas coordonné à un objet naturel ; que son objet est fantasmatique. De ce fait, le désir est extravagant. » (...) « Ce Séminaire annonçait « le remaniement des conformismes antérieurement instaurés, voire leur éclatement ». Nous y sommes. Lacan parle de nous. »
Pierre Macherey, Philosopher avec la littérature, ed. Hermann, 400 pages, 27€
Réédition de l'essai de Pierre Macherey, paru en 1990, sous le titre A quoi pense la littérature ? Edition revue pour l'occcasion augmentée d'une préface dans laquelle Pierre Macherey revient sur son parcours intellectuel et sur les rapports, ses rapports, entre littérature et philosophie.
Michel Schneider, Lu et entendu, ed. PUF, 300 pages, 22€
On sait que Michel Schneider est un psychanalyste qui s'intéresse autant aux arts : son approche de Marilyn Monroe, dans Marilyn, dernière séance, celle de Proust dans Maman, ou celle du célèbre tableau de Géricault, dans Un rêve de pierre, quand ce n'est pas la musique et Glenn Gould.
Dans ce nouveau livre, il analyse les oeuvres de Freud, James, Nabokov, Pessoa, Proust, Rancé et Schnitzler. La littérature est un prisme qui révèle le spectre de situations psychiques étranges (...) Entendre ce que l'on lit et lire pour entendre. »
Frédéric Worms, Revivre, éprouver nos blessures et nos ressources, ed. Flammarion, 320 pages, 19€
Le mot revivre a deux sens , renaître et se laisser rattraper par son passé. Deux sens opposés ? Peut-être pas. Chacun de nous fait cette double expérience sans le savoir, sans la penser. Cet essai de Frédéric Worms, spécialiste de Bergson, nous propose justement de la penser cette expérience, de la faire nôtre, pour en faire un art de vivre.
La Revue des Livres, bimensuel, 5,9€.
Sans hésiter : c'est actuellement la meilleure revue sur les livres de Sciences Humaines. Une revue qui prend son temps pour parler des livres, pour les analyser, pour les discuter. Une revue qui, à partir, des livres, analyse aussi notre société.
Grande originalité de cette revue : chaque numéro est illustré par un seul illustrateur ou photographe.
Une revue à lire, à garder, à relire.