Mrs March a tout de ce qui ressemble à une existence confortable et sans nuage : un bel appartement à New York, un mari qui est un écrivain à succès et une vie oisive. Mrs March ne pense pas énormément, si ce n'est à des futilités. Lorsque l'employée de la boulangerie lui demande quel effet ça fait d'inspirer le personnage principal du dernier roman de son mari (qu'elle n'a pas lu), c'est toute son existence qui commence à vaciller. Elle se met à voir des signes autour d'elle. ESt-ce que tous les gens ne la regardent pas bizarrement? Elle épie les petits détails de la vie de son mari. Pourquoi Mr March garde-t-il des coupures de journaux sur le meurtre d'une jeune fille? Vraiment? Ce serait pour se documenter en vue d'un prochain livre?
Un récit hautement maîtrisé sur le basculement, l'effondrement de la raison : au début certaines obsessions font sourire par leur absurdité, mais petit à petit la paranoia atteint des proportions inquiétantes. Ecrit dans un style inimitable, à la fois désuet et décalé, le roman de Mrs March se lit comme un thriller psychologique.
L'inspecteur principal Schneider revient dans la ville où il a officié dix ans plus tôt. Hanté par l'Algérie où il a combattu, il est, dès sa prise de fonction, confronté à la disparition et au meurtre de Betty, jeune adolescente sans histoire. Dans le « Bunker » où il officie (le commissariat), la progression de l'enquête se fera à hauteur d'homme : les âmes sont taciturnes, désabusées, mais entêtées, l'aspect criminel de l'affaire aura tout à voir avec la folie des hommes, ce qu'elle génère d'inavouable, ce qu'elle dit aussi de la société (on est en 1973, peu avant la mort de Pompidou).
Entrer dans le nouveau roman d'Hugues Pagan, c'est d'abord être saisi par l'orfèvrerie de son écriture. Il y a une attention portée sur les détails et les ambiances. Ainsi croise-t-on des phrases telles que "La lumière du matin détaillait les êtres et les choses avec une netteté particulière, une sorte de cruauté paisible que nimbait cependant une étrange douceur distante" ou encore "Il alluma une cigarette derrière ses paumes. En levant son regard, il fut surpris par l’image qui lui sauta au yeux, surgie de la pénombre extérieure, celle d’une ombre au vaste front, aux orbites caves déjà remplies d’ombres, mais où luisait encore la férocité instinctive de quelque maigre et farouche bête de proie. Aussitôt, il éteignit son briquet, dont le claquement du capot évoquait le bruit sec et précis d’une culasse qu’on arme." Les descriptions sont ciselées, inédites (l'écriture, ça peut donc aussi être cela), quasiment foudroyantes. Dans Le carré des indigents, la langue est belle, les ciels bas et les regards vides. Le livre relève tout aussi bien du polar (un meurtre, une enquête, un commissaire taciturne) que du blues. De chaque page s'élève une mélodie, enveloppante, entêtante, presque oxymorique : plus la lumière sera faite sur l'enquête, plus les personnages plongeront dans l'obscurité. De cette âpreté, naît une intrigue implacable, non dénuée cependant d'ironie ou d'humanisme, Hugues Pagan est sociologiquement brillant lorsqu'il souligne l'invisibilité des petites gens.
Jonas publicitaire à Reyjjavik se retire dans un village de l'est de l'Islande, dans la maison de l'oncle de sa femme. Jonas n'est plus motivé par son travail : produire des slogans publicitaires qui vantent les mérites d'objet qu'il ne connait même pas comme une voiture dernier cri... Jonas passe son temps à écouter la musique du quotidien et à la noter dans son carnet... Jonas apprend que sa femme le quitte pour un autre homme. Il est triste mais cela fait longtemps déjà que Jonas s'est retiré en lui. Requiem nous parle de la solitude d'un homme qui peine à donner du sens à son monde si ce n'est en créant la musique d'une vie.
En 1949, à quarante-six ans, Eva Fitzgerald prend une décision radicale qui changera le cours de sa vie mais aussi celui des autres membres de sa famille. Son fils et sa fille pouvant maintenant voler de leurs propres ailes, elle quitte son mari. Mais dans l'Irlande puritaine d'après-guerre, le divorce n'est pas permis. Eva restera donc toujours mariée à Freddie, dépendant même de lui pour ouvrir un compte bancaire ou voyager. Qu'importe, Eva étouffe dans sa vie. Après avoir vécu des années difficiles auprès d'un mari alcoolique et déprimé dans la maison ancestrale de la famille Fitzgerald, Glanmire House, Comté de Mayo, Eva veut enfin mettre en oeuvre le serment fait à sa mère le jour de son mariage : "Quoi que la vie te réserve, promets-moi de te battre bec et ongles pour le droit au bonheur". Mais le monde n'est pas fait pour une femme libre, indépendante et aspirant au bonheur ! Qu'importe, Eva se laissera porter par la vie, enchaînera les petits boulots pour pouvoir profiter de la douceur de vivre en Espagne ou au Maroc, installera sa caravane au milieu de nulle part, s'engagera dans des combats pour la paix, la tolérance, l'écologie ou la protection des animaux. Qu'importe si on la prend pour une bohême excentrique, son empathie et sa capacité à voir de la lumière même dans les moments les plus sombres, la rendent attachante et nombreux sont ceux à venir chercher un peu de sa sagesse dans son Arche de lumière. Pourtant la vie ne l'épargnera pas et souvent elle devra réintégrer le monde réel. C'est toujours pour sa famille qu'elle renoncera un temps à la vie qu'elle s'est rêvée. Elle veut sauver son fils, homosexuel, qui subit lui aussi l'ostracisme de la société irlandaise des années 50 et sa fille, perpétuellement en quête de reconnaissance et de pouvoir, qui se retrouve elle aussi prisonnière d'un mauvais mariage, isolée dans la plantation de son mari au Kenya. Autant de drames qui la pousseront de plus en plus à retrouver l'isolement de son arche. A près de cent ans, sentant ses forces l'abandonner, Eva revient sur ses cinquante années de lutte pour son droit au bonheur.