Frederick Busch. Trad. de l'américain
Gallimard, 364 pages, 23.90 €
Jack, ancien flic, actuellement vigile dans un hôtel de Caroline, sauve Merle Davidoff des griffes d'un gigolo. Celle-ci lui confie la mission de retrouver son neveu disparu dans le nord de l'état de New York. Jack, sous le charme, accepte, même s'il va devoir pour cela affronter son passé, revenir vers le nord où il vivait précédemment avec femme, enfant, amis et qu'il a fui. Entre roman policier et drame intimiste, Nord est extrèmement bien construit, empruntant sa forme aux obsessions de son personnage : les secrets affleurent peu à peu, les informations sont distillées au fil du récit, on en sait un peu plus à chaque évocation de ces drames enfouis. Jack affronte sa part d'ombre tout en menant son enquête. Héros tourmenté, homme complexe, il se révèle extrèmement touchant au fil de ce beau livre à la langue particulière. Frédérick Busch mêle subtilement des dialogues au style très direct et une narration intense plus littéraire.
Dany Laferrière
Grasset, 179 pages, 16.50 €
Le 12 janvier 2010 un tremblement de terre de force 7 secoue Haïti. Dany Laferrière se trouve à Port-au-Prince, dans un hôtel, puisqu'il réside maintenant à Montréal. Il écrit ce livre en tant que simple témoin de la tragédie mais aussi en tant qu'écrivain haïtien qui s'interroge sur le passé et l'avenir de son pays et de son peuple. Le livre est à l'image de cette double position : sorte de carnet de notes, de moments saisis au vol lors de ses déplacements dans Port-au-Prince mais aussi récit plus linéaire et réflexif. Il y raconte par bribes sa vie d'enfant à Haïti, sa vie d'aujourd'hui et celle de sa famille, entre autre celle de sa mère et de sa soeur qui y résident toujours, prisme pour comprendre les conséquences de cette catastrophe pour les habitants. Il prend des nouvelles de ses amis comme le peintre et poète Frankétienne, ce qui engendre des réflexions sur l'art haitien. Plus globalement il se demande en quoi ce tremblement de terre réduisant en miettes le palais présidentiel pourrait provoquer un séïsme politique bénéfique pour le pays. Un an après... un livre à lire.
Glenn Taylor. Trad. de l'anglais.
Grasset, 347 pages, 22.45 €
Entrez dans la légende de Gueule-Tranchée, paria magnifique, haut-en-couleurs, figure emblématique de l'âme américaine. Tout commence et tout finit par une confession : Early Taggart, dit "Gueule-Tranchée", va raconter à un journaliste les 108 années de son histoire qui survole aussi celle de l'Amérique : il va vivre 1001 vies différentes, depuis son enfance auprès d'une veuve experte en distillerie, sa jeunesse comme monstre chéri de ses dames, puis rebelle contre les exploitants de mine, ses années à vivre comme ermite dans les montagnes avant de devenir journaliste jusqu'à sa retraite dans une petite ville. Vous l'aurez compris, on entre ici dans un roman picaresque, rabelaisien presque, où le mensonge et l'illusion relève du grand art. Par un jeune auteur américain, dont on espère qu'il ne s'arrêtera pas là.
Tom Rachman. Trad. de l'anglais.
Grasset, 391 pages, 22.45 €
Dans ce grand journal international basé à Rome, les employés se croisent et se recroisent sans nécessairement se connaitre. A travers le destin de 11 d'entre eux, tous des bras-cassés de l'existence, "les imperfectionnistes", tout en nous faisant pénéter dans les coulisses d'un grand quotidien, l'auteur dresse un portrait très juste des faiblesses de l'être humain, à la fois drôle et pathétique. Il y a ce directeur de publication, petit-fils du fondateur du journal, totalement incapable de décision ; la redoutable rédactrice en chef qui croit contrôler son existence, le préposé aux nécrologies toujours parti le premier, et bien d'autres personnages imparfaits ou malchanceux, mais toujours émouvants.
Un roman polyphonique magistralement orchestré par un jeune auteur à l'étonnante maturité.