Yasmina Reza
Editions Flammarion, 20 €
Entre humour et mélancolie, Yasmina Reza dresse dans Serge le portrait d'une fratrie vieillissante.
Serge est l'aîné d'une famille de trois enfants. Doté d'un fort caractère, à la limite de la misanthropie, il ne supporte plus rien, ni son ex-femme, ni ses origines, ni sa famille, ni son âge. Lorsque sa mère meurt et sous l'encouragement de sa fille, Margot, Serge décide avec son frère (Jean, le narrateur) et sa soeur, Nana, d'entreprendre un voyage vers Auschwitz. Scène épique et absolument drôlatique du roman, ce voyage va "encrer" le roman dans une dimension plus vaste que la famille : celle de la mémoire et de la vanité tragique de la vie.
Cette comédie humaine est servie par l'écriture dynamique et vivante de Yasmina Reza, nourrie d'un comique de situation réglé comme au théâtre, et de dialogues parfaits. Non seulement Serge est drôle, acide mais il étreint aussi doucement le coeur. Parce qu'il dit des choses formidables sur la famille, le vieillissement ou la maladie, sur ces gens qui en font trop et sur les autres qui n'en disent pas assez.
Exceptionnel !
Après Artemisia, Fanny Stevenson et Moura, Alexandra Lapierre nous propose à nouveau de découvrir le destin passionnant d'une femme hors du commun. Sa nouvelle héroïne s'appelle Belle da Costa Greene et fut une figure marquante du monde intellectuel et artistique new-yorkais de la première moitié du XXe siècle. Belle, de son vrai nom Greener, est la fille d'un activiste noir, connu pour être le premier étudiant afro-américain d'Harvard. Richard Greener était un passionné, voué à la cause de la défense des noirs, mais un piêtre mari et père qui a abandonné sa famille pour occuper un poste en Russie. Belle, sa mère et ses frère et sœurs se retrouvent démunis et sans perspective d'avenir. Ils vont alors prendre une décision radicale et irréversible : renoncer à leur identité noire pour se fondre dans la société blanche de New York. Grâce à une peau claire et des yeux verts hérités de décennies de mélanges entre les riches planteurs et leurs esclaves, les Greener peuvent aisément passer pour des blancs. C'est là un jeu dangereux car s' ils sont découverts ils risquent la peine de mort !
Ainsi, nait une nouvelle histoire familiale où une riche famille de Virginie côtoie un aïeul portugais pour devenir les da Costa Greene. Ce nouveau statut va permettre à la fratrie de faire des études et de mener un vie mondaine au cœur de la société bourgeoise du début du XXe siècle. C'est Belle, la plus ambitieuse et la plus flamboyante de la famille, qui connaîtra le destin le plus exceptionnel. Passionnée de livres et d'art, elle entreprend des études de bibliothécaire et entre au service du neveu de J.P. Morgan, le banquier le plus en vue de New York, et un collectionneur averti. Très vite, ce dernier la repère et lui propose un poste prestigieux et inespéré : diriger la Morgan Library, la collection privée du millionnaire, riche de manuscrits anciens et de tableaux de grands maîtres ! Belle court les salles de vente, déniche des manuscrits rares, négocie avec les marchands les plus en vue en Amérique et en Europe. Très courtisée, elle multiplie les liaisons sans jamais s'engager car Belle n'a qu'une crainte que son terrible secret soit dévoilé. Avec ce roman mené tambours battants, Alexandre Lapierre nous fait découvrir une femme inoubliable.
Juillet 2009, un cargo approche des côtes de la Colombie-Britannique. A son bord, près de 500 réfugiés sri-lankais. Des hommes, des femmes, des enfants qui ont fui la guerre et espèrent trouver un pays d'accueil où commencer une nouvelle vie. Mais les autorités canadiennes ne veulent pas de cette arrivée massive de réfugiés. Elles craignent que des terroristes se soient infiltrés parmi eux. Tous sont emprisonnés en attente d'une audience d'admissibilité. L'arrivée du cargo fait la une des journaux et va bouleverser le destin des trois personnages principaux : Mahidan le réfugié, Priya l'avocate et Grace la juge.
Mahidan est l'un de ces Tamouls qui a tout perdu au Sri Lanka. Il a fui avec son fils de cinq ans, Sellian. Séparé de l'enfant à leur arrivée, il passe des mois en prison, enchaînant les audiences au cours desquelles il doit prouver sans cesse son identité et raconter les horreurs vécues pendant des années de conflits. Comment convaincre la juge de le laisser vivre au Canada, lui qui risque d'être renvoyé dans son pays.
Priya est une jeune canadienne. Diplômée en droit, elle entame son stage dans un grand cabinet d'avocats où elle espère se spécialiser en droit des entreprises. Mais voilà, un avocat du cabinet la remarque lors d'une réunion et décide qu'elle fera son stage avec lui, spécialiste du droit des réfugiés. Priya a la peau brune et un nom sri-lankais, mais elle ne sait pratiquement rien de son pays d'origine. Ses parents sont arrivés au Canada dans les années 60 et ont tout fait pour que leurs enfants deviennent des petits canadiens. Elle défend les droits de Mahidan et l'assiste à chacune de ses audiences, découvrant petit à petit les difficultés des Tamouls au Sri Lanka. Elle se décide enfin à interroger son père et son oncle sur leur propre passé.
Grace, mariée et mère de jumelles adolescentes, occupe une fonction de conseillère auprès d'un député fédéral. Toujours à la recherche de challenges, elle accepte une nomination comme juge à la commission des réfugiés qui doit statuer sur le sort des 500 nouveaux arrivants. Grace incarne ce Canada qui doute et qui craint cette arrivée massive d'étrangers. Et si certains étaient des terroristes, prêts à importer sur le sol canadien leur combat ? Ne doit-elle pas protéger ses filles ? Pourtant, Grace aussi est descendante d'immigrés. Ses grands-parents sont arrivés du Japon dans les années 30. Eux aussi étaient venus chercher une vie meilleure dans cette terre d'accueil. Leur destin a basculé avec la Seconde Guerre Mondiale, enfermés dans un camp, leurs biens confisqués, ils ne se sont jamais vraiment remis de cette expérience traumatisante dont ils ne parlaient jamais. Et voilà que sa mère, Kumi, sombrant peu à peu dans la maladie d'Alzheimer n'a plus qu'un mot à la bouche : réparation ! Qui est-elle, Grace, pour juger ces hommes et ces femmes qui souhaitent simplement vivre en paix et qu'elle soupçonne d'être de dangereux terroristes ?
A travers les doutes et les craintes de ces trois protagonistes, Qu'importe le navire nous éclaire sur la difficulté d'accueillir et de comprendre l'étranger.
Danny et Maeve Conroy sont frère et soeur. Unis par un amour indéfectible, ils grandissent entre un père renfermé et distant et une mère instable qui finit par disparaître un matin pour ne plus jamais revenir. Ils peuvent néanmoins compter sur l'amour et le dévouement de la cuisinière et de la bonne, Jocelyne et Sandy, qui font tourner la grande maison et en sont un peu l'âme.
La maison, une grande demeure en périphérie de Philadelphie est au coeur du roman. Le père de Danny et Maeve pensait y créer un foyer pour sa femme et ses enfants, elle deviendra pourtant la cause de tous leurs malheurs. Elle doit son nom de "Maison des Hollandais" à ses anciens propriétaires venus d'Europe au début du XXe siècle et ayant fait fortune en Amérique. Alors que la vieille Madame Van Hollebeke est décédée sans descendants, le père Conroy achète la somptueuse demeure avec tout son contenu. La famille s'installe donc dans les meubles sombres et austères de ces inconnus, dine dans son service, dort dans ses draps, vit sous le regard des portraits de famille. Si la mère ne supporte plus la situation et prend la fuite, les deux enfants sont solidaires et grandissent tant bien que mal dans une atmosphère oppressante.
Jusqu'au jour où leur père leur présente Andrea, une jeune et jolie femme visiblement sous le charme de l'imposante bâtisse et bien décidée à en épouser le propriétaire. Andrea ne tarde pas à emménager dans la Maison des Hollandais, avec ses deux petites filles, et à y imposer sa loi. Danny et Maeve ne se doutent pas alors des conséquences de l'arrivée de cette belle-mère arrogante sur leur propre destin.
Pendant des années, Danny et Maeve, devenus adultes, passent du temps, assis dans une voiture garée devant ce qui fut la maison de leur enfance, à se repasser le fil des événements.
Ann Patchett est passée maître dans l'art de décrire les sentiments au coeur d'une famille dysfonctionnelle, de raconter sur des décennies la complexité des relations humaines et les rouages souvent incontrôlés de la destinée de ses personnages. A l'image du passionnant Oranges amères, paru en collection Babel, La Maison des Hollandais est un roman tout en subtilité qui nous conte les déboires de personnages attachants.