Ilaria ou la conquête de la désobéissance (Gabriella Zalapi. Editions Zoé, 17€) : Un jour de juin 1980, le père d'Ilaria, 8 ans, vient la chercher en voiture à la sortie de l'école mais ne la ramène pas à la maison. Commence alors une cavale désordonnée, d'aires de parking en hôtels miteux, racontée à hauteur d'enfant par Ilaria, tiraillée entre sa loyauté vis-à-vis de son père et sa propre peur. Rien n'échappe au regard de la petite fille des manquements et des mensonges du père, et pourtant leur errance est traversée par des moments de joie pure. En phrases courtes, avec une grande acuité psychologique et des sensations finement décrites, Gabriella Zalapi fait battre notre coeur à l'unisson d'Ilaria, cette enfant qui voit tout et ressent tout .
Le rêve du jaguar (Miguel Bonnefoy, Rivages, 20€90) : S'inspirant du destin exceptionnel de ses grands-parents, Miguel Bonnefoy tisse une saga familiale flamboyante sur fond d'Histoire du Vénézuela. On y retrouve toute la splendeur de l'Amérique Centrale, de ses forêts luxuriantes, de ses légendes pittoresques et de ses personnages hauts-en-couleur.
Après "Le voyage d'Octavio", "Héritage", ..., Miguel Bonnefoy nous éblouit encore par la force de son imaginaire et son art de conteur proprement magique.
La petite bonne (Bérénice Pichat, Les avrils, 21€20) : En France, dans les années 30, la petite bonne est au service de plusieurs familles bourgeoises, dont les Daniel. Monsieur est un ancien pianiste et une gueule cassée de la Grande Guerre, mutilé et aigri. Madame a renoncé à toute vie mondaine pour s'occuper de son mari. A-t-elle bien fait? Pour quels bénéfices ? Exceptionnellement Madame part en week end et il n'y aura que la petite bonne pour rester avec Monsieur.
Le lien inattendu qui se crée entre ces êtres, l'alternance des points de vue, marqué par des différences de style, la délicatesse des sentiments, la force des silences et la lumière auréolant ce petit bout de femme, la confrontation bouleversante et le beau dénouement font de ce premier roman une perle de beauté, de profondeur et d'humanité.
La vie qui reste (Roberta Recchia, trad. de l'italien, Istya, 22€) : Il y a l'avant et l'après, "La vie qui reste". Avant, il y a une belle histoire d'amour entre Marisa et Selvio et un bonheur familial simple avec leurs deux enfants. Tout s'arrête l'été 80 lorsque Betta, 15 ans, leur ado lumineuse, est assassinée sur une plage. Après cela, comment ne pas sombrer ? Marisa s'englue dans sa tristesse tandis que Selvio noie son chagrin dans la boisson. Et que dire de la cousine de Betta, présente lors de ces événements et qui porte un lourd secret ? Avec beaucoup d'empathie, une belle simplicité dans l'écriture, Roberta Recchia trouve le ton juste, la note d'espoir au milieu de cette histoire dramatique. C'est surtout très belle histoire d'amour, de résilience, de rencontres qui vous forcent à avancer.
Intermezzo (Sally Rooney, trad. de l'anglais (Irlande), Gallimard, 22€) : Quatrième roman de la romancière irlandaise de "Normal People", "Intermezzo" marque encore un pas dans l'oeuvre de Sally Rooney tant elle atteint dans ce livre une densité et une profondeur exceptionnelles. On y suit l'histoire de deux frères, après le décès de leur père. Dix ans les séparent, mais c'est surtout leur différence de personnalité qui crée incompréhension et ressentiment entre eux : Ivan a 22 ans, est très mal à l'aise dans ses relations, est un génie des échecs mais ne perce pas dans le milieu. Peter, quant à lui, le plus âgé, est un avocat brillant, charismatique et séducteur. Cette période de deuil qu'ils traversent réveille les griefs anciens et font se bousculer les émotions. Avec une extrême finesse, Sally Rooney saisit ce moment charnière et rend palpable, vivant, la beauté et la complexité du lien fraternel dans notre monde contemporain.
Propre (Alia Trabucco Zeran, trad. de l'espagnol (Chili), Robert Laffont, 20€90) : Estela est bonne à tout faire au service d'un couple aisé et de leur petite fille. Elle fait le ménage, le service et s'occupe de la fillette. Elle s'occupe de tout et connait tout de la vie de ses employeurs. Elle-même n'a pas eu l'occasion de vivre la sienne. Maintenant, la fillette est morte et Estela nous explique, avec lucidité et un certain détachement, les dessous peu brillants derrière la belle façade bourgeoise et l'enchainement fatidique qui a mené à cette fin tragique. Un roman captivant, cruel et émouvant.
Maniac (Benjamin Labatut, trad. de l'anglais, Grasset, 25€10) : Un roman fascinant : l'écrivain chilien Benjamin Labatut a une manière unique de rendre vivante la science et d'en saisir les concepts les plus vertigineux. Le livre saisit trois moments clés de l'avancée des sciences, à travers l'histoire de trois chercheurs dont les intuitions sont tellement abyssales qu'elles outrepassent la raison. Ehrenberg, physicien écrasé par le concept d'incertitude ; Von Neuman, esprit sans cesse en mouvement dont les théories seront décisives (et irréversibles ?) pour l'humanité ; et Lee Sedol, champion de go battu par une intelligence artificielle. En interrogeant notre rapport à l'IA, ce roman pose des questions métaphysiques, nécessaires et angoissantes. Comment l'auteur fait-il de cette matière un page turner impossible à lâcher? Mystère, mais c'est une réussite incontestable.
La lumière vacillante (Nino Haratishwili, trad. de l'allemand, Gallimard, 27€50) : À la manière d'Elena Ferrante, Nino Haratishwili nous offre une magnifique histoire d'amitié dans la Géorgie troublée des années 90, entre effondrement de l'URSS et quête de l'indépendance. Nene la romantique, Ira l'intellectuelle, Dina, la meneuse et Keto l'observatrice, autant de superbes personnages, qu'on suit dans leurs histoires d'amour, de trahison, de révolte..., leur quête d'indépendance, aux prises avec la tragédie de l'Histoire, et toujours unies par ce lien indéfectible d'amitié.
Les derniers sur la liste (Gregory Cingal, Grasset, 22€60) : D'une plume claire et précise, traversée parfois d'éclats lapidaires, l'auteur reconstitue l'incroyable évasion de trois officiers de renseignements alliés (dont Stéphane Hessel) du camp de Buchenwald en septembre 44. Cette histoire méconnue digne d'un roman d'espionnage nous montre la complexité de l'organisation des camps, avec ses rivalités, ses kapos corrompus, ses résistants, mais c'est surtout le révélateur de l'extraordinaire courage d'une poignée d'hommes. À la fois terrible et plein d'espoir.
Ocean State (Stewart O'Nan, trad. de l'anglais (E.U.), éd. de l'Olivier, 23€50) : Une jeune fille, Birdy, est assassinée. Dès les premières lignes, nous savons qui l'a tuée. Ce roman est si réussi, si accrocheur, si diabolique qu'il nous fait malgré tout tourner les pages avec avidité : comment des gamins peuvent-ils tuer l'un des leurs? Comment les familles peuvent-elles s'en remettre? Dans la petite ville américaine, la déflagration est à la fois immense et sourde... Un roman fascinant. De l'orfèvrerie.
La famille Ruck (Katja Schonherr, trad. de l'allemand, Zoé, 23€) : Une comédie familiale trépidante et acérée qui dit aussi très bien le temps qui passe, la transmission et l'amour qui circule coûte que coûte malgré les dissenssions! Un bonheur de lecture!
L'énigme de Turnglass (Gareth Rubin, trad. de l'anglais, 10/18, 22€) : Un polar original à aborder, à votre guise, dans deux sens possibles : une seule énigme pourtant qui relie les 2 intrigues, que vous commenciez par le côté vert - l'aventure d'un jeune médecin londonien qui découvre un terrible secret lors d'une visite à Turnglass House en 1881-, ou que vous débutiez par le côté rouge- en suivant l'enquête d'un jeune homme sur la mort d'un de ses amis, un écrivain californien dont le dernier ouvrage tête-bêche s'intitulait "L'énigme de Turnglass"... en 1939. Les indices présents dans les deux parties s'emboiteront pour faire émerger l'entière vérité, pour le grand plaisir des lecteurs avides de casse-têtes !
Leo (Deon Meyer, trad. de l'afrikaans, Gallimard, 23 €) : L'excellent Deon Meyer nous revient avec son duo d'enquêteurs attachants, désormais promus à l'unité Crimes graves du poste de Stellenbosch. À la suite du décès suspect d'un avocat, ancien soldat des forces spéciales, les voilà partis dans une enquête des plus complexes , tout en jouant un contre-la-montre pour déjouer les plans d'un vol d'envergure. Au fil de cette intrigue passionnante, Deon Meyer montre aussi la gangrène de la corruption sud-africaine .
Le bruit de nos pas perdus (Benoît Séverac, La manufacture de Livres, 18€90) : Sous ce beau titre et cette couverture évocatrice se cache un roman policier profondément humain. Nous y suivons une équipe de la Crim' à Versailles, autant de personnages attachants, avec leur force et leur faiblesse, leur difficultés privées ou professionnelles. En enquêtant sur deux affaires en parallèle – un cadavre, mort de mort naturelle a été retrouvé inhumé dans le caveau d'une honorable famille versaillaise et le suicide suspect d'une jeune femme sans histoire -, nos policiers se trouvent confrontés à bon nombre des maux de la société : les migrants, l'esclavagisme moderne, la solitude, la parentalité, … Le tout est servi par la très belle plume de Benoit Séverac.
Les stripteaseuses ont toujours besoin de conseils juridiques (Iain Levison, trad.de l'anglais (E.U.), Buchet-Chastel, 22 €) : Justin Sykes, un avocat qui tire le diable par la queue, se voit offrir mille dollars de l'heure pour offrir ses conseils aux filles d'un "gentleman's club". Une aubaine inespérée pour cet habitué des affaires minables. Mais peut-être devrait-il se poser quelques questions. Drôle et cinglant, Ian Levison s'attaque au système judiciaire américain à travers une comédie noire jubilatoire.
Le geste, la patience, la maîtrise, la transmission, l'innovation, l'audace, la passion ; autant de termes que l'on retrouve dans les livres sélectionnés ici et parlant de l'art sous toutes ses formes : artisanat, photographie, peinture, ...
Tissus (Edith Pauly, EPA, 60€): Edith Pauly nous embarque pour un voyage dans le monde fascinant des tissus aux formes, techniques et aux couleurs infinies. Richement illustré et très documenté, ce livre sera une somme précieuse pour tous les amateurs et un enchantement pour les curieux.
Le tour du monde du papier : créations, savoir, boutiques (Julie Auzillon, Pyramid, 35€) : Relieuse d'art passionnée, Julie Auzillon nous entraîne dans un tour du monde à la découverte du papier sous toutes ses formes. Ponctué de précieuses informations sur l'Histoire, les techniques, les spécificités culturelles, ce voyage nous fait découvrir des ateliers d'artistes contemporains pour qui le papier est une source d'inspiration infinie.
Le café de Van Gogh (Bernadette Murphy, Actes Sud, 25€) : Bernadette Murphy connaît très bien l'univers de Vincent Van Gogh. Pendant sept ans, elle a enquêté sur les événements du 23 décembre 1888, lorsque le peintre s'est coupé l'oreille. Dans "L'oreille de Van Gogh. Rapport d'enquête" publié chez Actes Sud en 2017, elle avait livré le récit des ses années de recherches digne d'un roman policier. Dans ce nouvel ouvrage, elle poursuit son étude sur les relations de Van Gogh à Arles en évoquant une dizaine de modèles ayant posé pour le peintre. Des anonymes dont les portraits sont aujourd'hui admirés par des millions de visiteurs dans les plus grands musées du monde.
Voyage dans le monde du parfum. Le musée des senteurs (Mandy Aftel, Nuinui, 35€) : Poursuivons nos pérégrinations autour du globe en nous intéressant à présent au monde secret des parfums. Mandy Aftel, parfumeuse de renommée internationale, nous propose un ouvrage particulièrement intéressant qui nous révèle tous les secrets des fragrances envoûtantes.
Le roman des artistes. Volume 1 : Romantismes (Dan Franck, Grasset, 24€10) : Dan Franck nous avait enchantés avec sa trilogie "Le temps des Bohèmes" mettant en scène le Paris bouillonnant de Picasso, Braque, Modigliani, ... Voici le premier volume d'une nouvelle série qui comportera quatre tomes et qui nous racontera la vie artistique et littéraire de 1820 à 1885, période marquée par les révolutions de 1830, 1848 puis la Commune. Absolument passionnant.
Curieux Musées : Collections insolites du monde entier (Patrick Braud, Dunod, 29€15) : Partout dans le monde, il y a de grands musées dont la visite est incontournable lorsqu’on a la chance de déambuler dans leurs parages, mais il y a surtout un nombre incalculable de petits musées insolites par leur architecture, leur thématique, leur collection, leur histoire dont la visite laisse souvent un souvenir impérissable. C’est à ces lieux originaux que Patrick Braud consacre cet ouvrage drôle et intrigant.
Les Arts moghols (Corinne Lefèvre, Citadelles & Mazenod, 185€) : On connaît la qualité des ouvrages édités par Citadelles & Mazenod et ce dernier opus consacré à l'art moghol est dans la lignée des grands titres de la collection. Un collectif de spécialistes internationaux dresse un panorama complet de l'art sous l'empire moghol (1526 – 1857). Magnifique et captivant.
Figures du fou : du Moyen Age aux romantiques (Collectif,Gallimard, 45€) : Catalogue de l'exposition qui se tient au Musée du Louvre jusqu'au 3 février 2025, Figures du fou. Du Moyen Age aux Romantiques est un album richement illustré, au texte très documenté. Présentant plus de 300 œuvres aussi diverses que des sculptures, des enluminures, des médailles, des tapisseries qui toutes illustrent la figure du fou, personnage central de l'iconographie médiévale.
Le Ciel des peintres (Daniel Bergez, Citadelles & Mazenod, 65€30 ) : Comment représenter le ciel, son infinité, sa lumière, sa profondeur, ses couleurs ? Du Moyen Age à l’Époque Contemporaine, Daniel Bergez a étudié les œuvres de plus de 80 peintres et nous présente un parcours thématique étonnant, riche en réflexions esthétiques, techniques, philosophiques, spirituelles, scientifiques.
Les femmes photographes sont dangereuses (Laure Adler et Clara Bouveresse, Flammarion, 29€90) : Laure Adler poursuit sa passionnante série sur les femmes déclinée depuis plusieurs années sur diverses thématiques en se penchant, cette fois, sur le destin des femmes photographes. Plus de 60 artistes sont présentées, des pionnières aux contemporaines.
Caillebotte : peindre les hommes (Collectif, Hazan, 45€20) : Tout le monde connaît le célèbre tableau "Raboteurs de parquet", peint par Gustave Caillebotte en 1875, mettant en scène des ouvriers en plein travail. La figure masculine est au centre de l’œuvre du peintre auquel le Musée d'Orsay consacre une importante exposition jusqu'au 19 janvier 2025.
Le geste créateur. L'esquisse dans les collections des Musées royaux des Beaux-Arts de Belgique (Collectif, Musée Royaux des Beaux Arts de Belgique, 55€) : Comme l’écrit Kim Oosterlinck, directeur général des Musées Royaux des Beaux Arts, dans son introduction : « L’exposition invite à la réflexion sur l’importance du rôle que joue l’esquisse dans la création artistique (…). Elle met en avant la diversité de formes que les esquisses peuvent prendre (…). ». On retrouve dans ce catalogue toute l’originalité de cette exposition qui se tient jusqu’au 16 février 2025.
Il faudra faire de la place sous le sapin !
Cette année, les historiens nous ont gâtés avec des pavés plus passionnants les uns que les autres où l'humain, le divin et la nature occupent des places centrales. Des heures de lecture enrichissantes à l'horizon !
Histoire de la Mer (Alessandro Vanoli, trad. de l'italien, Passés Composés, 26€) : Écrire une histoire de la mer, voilà un programme ambitieux. C'est pourtant ce qu'a brillamment réussi Alessandro Vaneli en nous contant les relations entre l'homme et la mer, des premières civilisations au monde moderne. Mythologie, commerce, exploitation, conquêtes, études, menaces, autant de thèmes abordés dans cet ouvrage captivant.
Les métamorphoses de la Terre : l'humanité et la nature, une nouvelle histoire du monde (Peter Frankopian, trad. de l'anglais Tallandier, 31€90) : Peter Frankopian, auteur du best-seller Les Routes de la Soie paru aux éditions Nevicata et disponible en format poche chez Champs Flammarion, revient avec un ouvrage tout aussi passionnant. Dans cette somme épaisse, l'historien retrace l'histoire de la relation entre l'homme et le climat.
Le jardin des dieux : une histoire des plantes à travers la mythologie (Laure de Chantal, Flammarion, 35€) : Vertueuses, magiques, infernales, d'amour, les plantes avaient bien des pouvoirs et des secrets pour les Anciens. Cet ouvrage, magnifiquement illustré, nous fait découvrir 80 plantes, l'étymologie de leur nom et leurs relations avec la mythologie grecque ou romaine.
Imperator : une histoire des empereurs romains (Mary Beard, trad. de l'anglais, Seuil, 33€) : Après le très remarqué "SPQR : Histoire de l'ancienne Rome" paru chez Perrin en 2016 et disponible en format poche, Mary Beard nous propose une histoire des empereurs romains, loin des clichés habituels et de la galerie de portraits alignés chronologiquement. L'historienne s'attache ici à en décrire les attributs, le pouvoir, la cour, la symbolique.
Les Incas, XIIIe – XVIe siècle (Peter Eeckhout, Tallandier, 29€50): Peter Eeckhout est un archéologue belge, professeur à l'ULB, spécialiste des civilisations précolombiennes. Il publie ici un livre passionnant sur les Incas, dans lequel il partage avec nous les découvertes archéologiques les plus récentes qui battent en brèche la vision tronquée, basée sur les récits des colons européens, que nous avons de cette brillante civilisation.
La Babylone de l'Europe : Anvers, les années de gloire (Michael Pye, trad. de l'anglais, Nevicata, 25€) : Au XVIe siècle, Anvers a connu son âge d'or. La cité portuaire des Pays-Bas espagnols était le centre du monde tant sur le plan culturel qu'économique. Michael Pye retrace ces années flamboyantes et redonne vie aux marchands, artistes, banquiers qui en faisaient sa réputation à l'international.
Deux filles nues (Luz, Editions Albin Michel, 25€) : En 1919, dans une forêt de Berlin, le peintre Otto Mueller crée le tableau "Deux filles nues". Cette oeuvre d'art est emportée par les tribulations du temps avec des événements comme l'arrivée d'Hitler au pouvoir, la spoliation des biens juifs ou l'art moderne qualifié de dégénéré par le régime nazi. Luz adopte un incroyable point de vue, celui du tableau pour nous livrer un récit bouleversant et graphiquement superbe.
Ulysse et Cyrano (Stéphane Servain, Xavier Dorison et Antoine Cristau, Editions Casterman, 34€90) : Ulysse Ducerf va passer le bac. Les maths ne le passionnent guère, mais impossible de se défiler quand on est promis à un brillant avenir : l'École polytechnique puis la reprise, un jour, des cimenteries familiales. Telle est la volonté du père d'Ulysse, mais ce dernier est rattrapé par de graves accusations : 10 ans plus tôt, son entreprise aurait participé à l'effort de guerre allemand. La famille s'installe en Bourgogne, où Ulysse fait la connaissance d'un homme bourru et secret. Le choc est immédiat : Cyrano et la grande cuisine vont bouleverser à jamais la vie d'Ulysse... Ce récit culinaire dans la France des Trente Glorieuses mettra en appétit ses lecteurs tout en posant des questions aussi nécessaires qu'universelles : qu'est-ce que le plaisir ? Où se trouve l'épanouissement... et comment l'atteindre ?
Beyrouth malgré tout (Sophie Guignon, Chloé Domat et Kamal Hakim, Editions Steinkis, 20€) : Une remarquable bd-documentaire qui, à travers le parcours de Robert Sacy – un médecin libanais – retrace l’histoire du Liban, depuis les années 75 jusqu’à 2020. Un pays de paradoxes confronté aux guerres, tragédies et autres crises économiques mais qui reste, malgré tout, debout, vivant, résilient. Nuancé, clair, et intelligent, "Beyrouth malgré tout" est tout cela à la fois.
L’intranquille Monsieur Pessoa (Nicolas Barral, Editions Dargaud, 25€) : Jeune pigiste au Diaro de Lisbonne, Simao doit rédiger la nécrologie de Fernado Pessoa. Pour brosser un portrait authentique de l’écrivain, le journaliste part à la rencontres de personnes qui l’ont côtoyé. Une très belle bd, pleine de subtilité, dotée d’un sens du récit recherché et de couleurs où le marron (splendide) prédomine. Grand coup de coeur (et pour les amoureux de Lisbonne et/ou de littérature, c’est extra !)
Alison, à coups de pinceau (Lizzy Stewart, trad. de l’abglais par Nadia Aeberli, Editions Helvetiq, 24€) : Une merveille de roman graphique sur l’itinéraire d’une femme de province anglaise qui va découvrir l’art et les difficultés d’être une artiste et femme dans le microcosme londonien de la fin des années 70. Subtil, magnifiquement dessiné et dialogué, une ode à l’émancipation féminine. Gros gros coup de coeur !
Le seau, souvenirs dessinés d’une guerre (Koenraad Tine, trad. du néerlandais par Isabelle Rosselin, Editions du Seuil, 29€) : Plus qu’un roman graphique, une œuvre d’art ! L’artiste et sculpteur Koenraad Tinel revient sur son enfance au sein d’une famille de flamands nazis. Grâce à des dessins bruts à la puissance phénoménale et à un récit superbement écrit, "Le seau" est une expérience de lecture bouleversante.
Patchwork : une biographie en images de la créatrice d’Ernest et Célestine (Editions Daniel Maghen, 39€20) : Comment Monique Martin, l'artiste peintre, est-elle devenue Gabrielle Vincent, l'illustratrice d'une des plus belles, des plus touchantes collections de livres pour les enfants ? Peut-être parce que dessiner pour les enfants, dans les années 70 et 80, ce n'est pas très convenable quand on est une artiste reconnue et exposée dans les galeries bruxelloises. Ou plus certainement pour le plaisir de jouer, de surprendre, de s'amuser et de ne jamais se laisser dicter son art. Tendre, émouvant, cet hommage en images est superbe !
Alyte (Jérémie Moreau, Editions 2024, 28€) : Le dessinateur du remarquable "Les pizzlys" s’intéresse au destin d’un petit crapaud accoucheur, depuis son état de fragile têtard jusqu'à celui de révolutionnaire de la nature. Une fable animalière, entre poésie, philosophie et alerte écologique, avec des dessins aux couleurs éclatantes et une mise en page splendide.
Météores - Histoires de ceux qui ne font que passer (Jean-Christophe Deveney et Tommy Redolfi, Editions Delcourt, 35€10) : Dans ce roman graphique tout en nuances et subtilité, aucun personnage principal mais des personnages secondaires comme Gary, Casey, Charlie ou Hollie, qui vont et viennent au fil des pages, qui se croisent, dialoguent, s'ignorent pour nous raconter des trajectoires de vie pas forcément simples. Comme celle de Floyd, un gentil colosse un peu naïf qui aime le chant et a parfois des « blancs ». C’est aussi l’histoire de Hollie, une aide à domicile qui a du mal à communiquer avec son jeune fils. Celle d’Elijah, un adolescent cherchant sa place et voulant s’affirmer. On encore celle de Don, un mari aimant mais las de sa vie bien rangée… C’est la vie telle qu’on la vit et qu’on la ressent. C'est poétique, bouleversant, frémissant. Il y a de la tendresse dans chaque page et c'est un très très grand coup de coeur de cette fin d'année.
Le monde qui n’est pas (Frank Tashlin, trad. de l’anglais par Anne-Sylvie Homassel, Editions du Sonneur, 16€50) : Livre culte aux États-Unis mais inédit en français, "Le Monde qui n’est pas" offre une brillante et désopilante satire de notre société, en racontant l’histoire de l’humanité à rebours, de notre époque au jardin d’Eden. Guerre, surpopulation, réchauffement climatique, hyper-consommation, règne de l’ego, de la voiture et de la malbouffe : tous nos travers contemporains sont passés au crible de ce roman graphique d’anthologie, aux dessins empreints de dérision et d’ironie mordantes. Un hymne à la décroissance, au retour à la nature – à l’humour ravageur et d’une incroyable modernité. A l'heure où Trump reprend la présidence des Etats-Unis, ce livre est une véritable pépite clairvoyante et si intelligente !
Globe-trotteuses – Le tour du monde de Nellie Bly et Elizabeth Bisland (Julian Voloj et Julie Rocheteau, Editions Dargaud, 29€) : A la fin du XIXe siècle, les journalistes et écrivaines Nelly Bly et Elizabeth Bisland se lancent dans un tour du monde avec l'objectif de l'accomplir en moins de quatre-vingts jours, afin de battre le record de Phileas Fogg, imaginé par Jules Verne. Elles s'affrontent dans cette course contre la montre, déterminées à déjouer les préjugés sexistes de l'époque. Une bd trépidante, pleine d'énergie et une réflexion passionnante sur la condition féminine. "Globe-trotteuses" saura plaire autant aux grands ados qu'aux adultes !
Ressources, un défi pour l’humanité (Philippe Bihouix et Vincent Perriot, Editions Casterman, 28€) : S'imaginant pilotes de vaisseau spatial dans le futur promis par les avancées high-tech des milliardaires de la Silicon Valley, les auteurs explorent les origines des idées écologistes et l'accélération de l'utilisation des ressources de la planète, défendant la nécessité d'une sobriété organisée afin de préserver la Terre. Dotée d'un dossier complémentaire sur les conséquences de l'extractivisme, cette bd documentaire apporte un contrepoint intéressant à la Bd "Un monde sans fin" de Blain et Jancovici. Salutaire, elle déconstruit le mythe de la corne d'abondance dans lequel nous enferment les gens de la tech (Elon Musk, Jeff Bezos...) et nous invite à utiliser des technologies douces, réparables et adaptables.
Les travailleurs de la mer (d’après Victor Hugo de Michel Durand, Editions Glénat, 35€15) : Le bateau à vapeur la Durande fait la liaison entre l'île de Guernesey et Saint-Malo, ce qui ne plaît pas à tout le monde. A des milles de la côte, le navire s'échoue sur un écueil par la machination criminelle de son capitaine. Son propriétaire veut alors récupérer son moteur par tous les moyens. Il propose la main de sa nièce à celui qui y parviendra… Un tour de force graphique qui reproduit le souffle grandiose du roman de Victor Hugo. Toute l'oeuvre est au trait à l'encre de chine. Très peu d'aplats, que des hachures de tout type pour exprimer les reliefs, les lumières et les mouvements. Fascinant !
L’escamoteur (Sébastien Goethals et Philippe Collin, Editions Futuropolis,26€) : Dans ce polar historique, les auteurs du "Voyage de Marcel Grob" et de "La patrie des frères Werner" nous plongent dans les années de plomb en France. Ils retracent une histoire d’Action Directe, en remontant des pistes familiales encore vives et en rencontrant les témoins. Gabriel Chahine est un galeriste d'origine libanaise, sympathisant des pensées d'extrême gauche. En rencontrant à Toulouse Jean-Marc Rouillan, futur cofondateur d'Action Directe, le courant passe immédiatement. Afin d'aider le mouvement en manque d'argent, Gabriel propose de voler "L'escamoteur", tableau de J. Bosch, alors exposé au musée municipal de Saint-Germain-en-Laye... Un récit nerveux, dense, dialogué, bref c'est passionnant !
Sur le front de Corée (Ortiz et Marchetti d'après le reportage de Henri de Turenne, Editions Dupuis, 25€) : Pour sa première expérience de correspondant de guerre, Henri de Turenne arpente pendant huit mois le front du conflit en Corée. Les premières semaines, il assiste à la déroute américaine et sud-coréenne face aux Nord-Coréens, soutenus par les Russes. Il rend compte ensuite du débarquement des GI dans la baie d'Inchon. Son reportage lui vaut le prix Albert Londres en 1951. C'est ce reportage que retracent les auteurs de cette bd passionnante qui rend hommage aux reporters de guerre qui risquent leur vie pour témoigner, pour documenter. Sur le front de Corée trouve un écho particulier dans l'actualité d'aujourd'hui et parle superbement de l'éthique journalistique à l'heure des fake news...
L'éternité béante (Etienne Klein, LF Bollée et Christian Durieux, Editions Futuropolis, 24€) : Par l'effet conjugué de divers paramètres, Etienne Klein se retrouve face à Albert Einstein dans le monde contemporain. Les deux hommes entament un road trip loufoque au cours duquel ils échangent leurs réflexions scientifiques et philosophiques à propos des grandes découvertes ou des événements qui ont eu lieu depuis la mort du physicien en 1955. Et si Etienne Klein et Albert Einstein se rencontraient, que se diraient-ils ? sur les découvertes passées et celles à venir ? Et que penserait Einstein de notre monde actuel ? Pour les passionnés de sciences, une bd savante, malicieuse et éclairante.
Deux amis sur mes épaules (Lee Suyeon, Editions du Seuil, 24€) : Toki, traumatisée par un événement survenu dans son enfance, grandit avec le sentiment d'avoir une panthère noire juchée sur ses épaules, parlant continuellement et isolant la jeune fille de son entourage. Devenue adulte, Toki tente de soigner petit à petit ses blessures et apprend à accepter les souffrances de son passé. Graphiquement superbe avec ces encres, ces transparences, ces lumières, ce roman graphique parle superbement de résilience... et joue très adroitement avec l'esprit de l'enfance (les humains sont représentés par des animaux) pour mieux les questionner. Coup de coeur.