"Je la dévisage,
nos pensées gelées ensemble
au sommet d'une vague
qui vire au blanc-froid, s'enroule
et retombe dans le vert éclatant.
Quand j'ai commencé à regarder Jane,
elle était beaucoup plus âgée que moi.
Comme son visage me paraît étrange à présent
agrandi sur cet écran granuleux,
à présent qu'elle n'aura jamais plus
que vingt-trois ans"
Dans ce volume double face, deux textes sont regroupés : Jane, un meurtre et Une partie rouge. L'un et l'autre retracent l'obsession à la fois personnelle et poétique de l'autrice, Maggie Nelson, pour une figure familiale, celle de sa tante, morte assassinée en 1969.
Ecrit il y a une quinzaine d'années, Jane un meurtre, est composé de poèmes, collages, extraits de journal intime, conversations, article de presse où chacune des formes utilisées dessine une trame narrative saisissante. Elles évoquent tout à la fois l'enquête elle-même, le caractère de sa tante (libre et intelligente), la violence faite aux femmes et constituent une réflexion puissante sur le vide, le deuil et comment le langage tente de s'y confronter.
Une partie rouge raconte, pour sa part, le procès de Gary Earl Leiterman, meurtrier présumé de la tante de Maggie Nelson après une enquête ADN menée trente-cinq ans après les faits et ayant conduit à la réouverture du dossier. Il mêle récit, notations intimes, réflexion philosophique et critique, autobiographie, éléments d’enquête... Si le livre à pour objet ce procès qui s’ouvre, l’autrice nous parle essentiellement de cette place à jamais vacante laissée par cette tante qu’elle n’a pas connue, mais dont le fantôme se retrouve partout, à la fois dans sa vie, ses souvenirs, ses réflexions et dans son rapport au langage.
Maggie Nelson bouscule les genres, croise les formes et c'est absolument brillant. Un livre fascinant et singulier.
Comme au cinéma nous raconte le destin de trois soeurs et de leur frère, entre 1952 et 2015, en Nouvelle-Zélande. A la fin de la Seconde Guerre, leur mère, Irene Sandle, se retrouve veuve avec une petite fille, Jessie. Elle doit abandonner sa vie de bibliothécaire à Wellington pour aller chercher du travail dans une plantation de tabac. La vie y est rude et la jeune citadine a du mal à trouver sa place parmi les ouvriers de la plantation. Elle peut pourtant compter sur l'aide d'un homme qui, malheureusement, disparait brutalement. Irene décide alors d'épouser Jock Pawson, le gérant de la plantation, un homme au caractère difficile. Trois enfants voient le jour au cours de ce second mariage, deux filles, Belinda et Janice, et un garçon, Grant. Mais en 1963, Irene meurt et Jock se remarie rapidement avec Charm, une femme alcoolique qui tyrannise les enfants. Jessie, l'aînée, âgée de 18 ans au décès de sa mère, a quitté la maison, laissant derrière elle ses soeurs et son frère. Chaque membre de la fratrie connaîtra un destin bien différent, chacun trouvera ou non la force de se relever d'une enfance marquée par le deuil, la colère et la violence. Sur près de 60 ans, Fiona Kidman nous révèle le parcours chaotique de cette fratrie marquée par les secrets de famille, les non-dits et les blessures.
Melody a 16 ans et en ce jour de printemps 2001, elle fête son anniversaire. A cette occasion, elle revêt la robe blanche que sa propre mère aurait dû porter au même âge qu'elle, seize ans auparavant. Mais le destin en a décidé autrement... A partir de cet élément déterminant, l'auteure va dérouler tout à la fois l'histoire de cette jeune fille, de ses parents et de ses grands-parents dans un flamboyant kaléidoscope où chaque détail a son importance : la faim qui tenaille un ventre, un lingot d'or qu'on cache sous les marches d'un escalier, un feu qui crépite... Tout est beau parce que tout dit quelque chose, "l'air de rien".
Jacqueline Woodson a un don, celui de restituer la complexité d'une réalité sans jamais être dans la démonstration. De page en page, elle dessine des éclats de vie chargés de sens pour mettre en scène la classe moyenne afro-américaine à travers l'histoire de Melody, adolescente enceinte et de ses proches. C'est tout à la fois délicat et étourdissant.
John Frazier n'a que vingt ans et pourtant il est déjà au bord du gouffre, prêt à sombrer dans l'addiction à l'alcool ou à la drogue. Il faut dire qu'en cette année 1969, John revient du Vietnam où il a servi dans l'armée gravant à jamais dans sa mémoire des images qu'il aurait voulu ne jamais voir. Décidé à reprendre malgré tout le chemin d'une vie dite normale, le jeune homme part s'installer à Placer County, en Californie, chez sa grand-mère. Là, il retrouve un peu de sérénité et décide de se lancer dans l'écriture d'un roman sur son expérience de vétéran d'une guerre impitoyable. Mais les souvenirs sont trop vivaces et les mots ne parviennent pas à apaiser ses angoisses. C'est alors qu'il fait la connaissance d'Helen Wilson, une lointaine tante, qui lui demande d'être son chauffeur pour une mission particulière. C'est ainsi que John découvre l'histoire de Ray Takahashi et de sa famille dont le destin est intimement lié à celui de sa tante. Ray était le fils d'un couple de Japonais installé à Placer County depuis les années 1920. Les Wilson et les Takahashi étaient voisins. Si une amitié sincère liait les deux pères de famille, il n'en allait pas de même pour les épouses qui entretenaient des relations plutôt froides. Leurs enfants respectifs étaient, quant à eux, inséparables. Et puis survinrent la Guerre et l'attaque de Pearl Harbor. Les Takahashi sont envoyés au camp d'internement de Tule Lake tandis que leur fils Ray, de nationalité américaine, décide de s'engager dans l'armée des Etats-Unis. Lui aussi reviendra vivant de la guerre mais sa vie est brisée. John Frazier se passionne pour cette histoire ancienne et tente de comprendre ce qui pousse sa tante à exhumer le passé. Quel secret se cache derrière ces destins brisés ? Et s'il tenait là le début du roman qu'il veut écrire ? Car toutes les guerres trainent dans leurs sillages des vies sacrifiées.