Bernard Chambaz
Editeur : Editions du Sous-sol Réserver ou commander
Monica Sabolo
Editeur : Gallimard Réserver ou commander
Monica Sabolo retrace l'histoire édifiante du groupe terroriste "Action directe" qui mit en émoi la France des années 80 (et qui tua le patron de Renault, Georges Besse). Très adroitement, elle mêle cette enquête à un autre récit, intime, celui de son père, être secret et ambigu, ombre planante de son enfance, et dessine au final un roman sur le pardon à la profondeur et à la sensibilité inouïes.
"Nous nous racontons une histoire, puis nous la réécrivons, au fil du temps. Ce spectre fantasque s'appelle la mémoire. Le souvenir est un organisme vivant, un corps autonome, qui s'auto-génère. Personne ne ment, le spectre a juste pris la main."
Un des grands livres de cette rentrée littéraire.
Pour commencer à défricher la rentrée littéraire de cet automne, voici un aperçu des quelques titres qui ont été aimés par plusieurs d’entre nous : il y a la locomotive de la saison (Virginie Despentes), des auteurs confirmés mais encore assez peu connus (Blandine Rinkel, Gilles Marchand), deux premiers romans et un auteur étranger.
Cher Connard, de Virginie Despentes (Grasset) : Loin des idées convenues, avec un sens de la formule qui fait mouche et qui claque, l’autrice nous offre un grand roman sur l’addiction, le féminisme, les faiblesses humaines et l’amitié.
Le soldat désaccordé, de Gilles Marchand (Aux forges de Vulcain) : Un ancien combattant de la première guerre, devenu détective, est chargé de retrouver un soldat disparu au front en 1917. Il va découvrir, en suivant ses traces, la magnifique et déchirante histoire d’amour de ce jeune homme épris d’idéal.
Vers la violence, de Blandine Rinkel (Fayard) : Avec une acuité sidérante, Lou raconte son père, Gérard, le rêveur, l’affabulateur, fascinant et terrifiant, violent , sauvage. Un roman saisissant sur les fondations familiales qui nous portent ou nous font fuir.
Tenir sa langue, de Polina Panassenko (L’Olivier) : Née en URSS, Polina est arrivée en France après la chute du bloc communiste. Elle devient Pauline. Très rapidement, elle se sent tiraillée entre ses deux identités. Un roman tendre, chaleureux et surtout drôle, drôle.
Les gens de Bilbao naissent où ils veulent, de Maria Larrea (Grasset) : Maria, 27 ans, part à la recherche de ses origines, suite à une révélation des plus surprenantes lors d’une séance de tarot. Un premier roman d’une vitalité débordante qui nous raconte une histoire assez extraordinaire , pleine de rebondissements et de révélations familiales.
Sud d’Antonio Soler, trad. de l’espagnol (Rivages) : Pendant 24 h, dans une ville écrasée par une chaleur de plomb, Sud nous entraîne dans un balai de personnages , un tourbillon d’émotions, de sensations, d’aventures humaines particulières qui plongent dans les tréfonds de l’âme. C’est âpre, étourdissant et d’une virtuosité folle.
Sally Rooney
Traduit de l'anglais (irl) par Laetitia Devaux
Editeur : L'Olivier Réserver ou commander
Les lecteurs familiers de Conversations entre amis et Normal people retrouveront dans ce troisième roman les empreintes habituelles de l'univers de Sally Rooney – l’amour, l’amitié, l’ambivalence, l’incommunicabilité, le rapport à l’art ou à la création, des échos à ses romans antérieurs mais, cette fois-ci et c’est une des grandes qualités de ce livre, sous une forme plus radicale et aussi surtout avec une lucidité terrible et mélancolique, renouvelant les attendus romanesques pour dire ce monde en crise qui cherche inlassablement son identité et ses formes. Les longs mails échangés entre Alice et Eileen sont à ce titre particulièrement brillants. Maniant tout à la fois l’intime, l’esthétique, la philosophie, ou la politique, ces mails posent une question à la fois vitale et ordinaire : Comment vivre dans un monde devenu quasiment invivable, et ce, à tous niveaux : écologique, économique, éthique et émotionnel (les très belles pages sur ce monde hideux, le plastique, la classe ouvrière, la peinture, le communisme)? Son roman est lucide, subtil et sincère, il dit les existences incertaines, le désir impossible de beauté, les déceptions amères.
C’est quoi d’être né dans les années 90 et de vivre dans un monde renversé et brisé ? « Incapable de se rappeler comment elle avait imaginé sa vie. N’y avait-il pas eu un temps où ç’avait signifié quelque chose pour elle, de vivre, d’être en vie ? » ou « C’est malheureux qu’on soit toutes les deux nées au moment où le monde prenait fin ». Le roman n’affirme rien, il questionne et se confronte au langage, au vocable, il dit l’ordinaire, s’interroge sur la normalité, l’impermanence de la vie ou la recherche de l’inédit ( « Qu’est ce que ça ferait d’avoir une relation sans forme préétablie ? »).
« Notre besoin de consolation est impossible à rassasier » a écrit Stig Dagerman. Oui, sans doute, mais Sally Rooney propose l’amour et l’amitié.
Elle nous dit aussi qu’ils sont là, non pour nous guérir, mais pour nous consoler. « Alors, malgré tout, malgré l’état du monde tel qu’il est, l’humanité au bord de l’extinction, me voilà encore en train d’écrire un mail sur le sexe et l’amitié. Mais qu’y-a-t-il d’autre à vivre ? »