Marie Charrel
Editeur : L'observatoire Réserver ou commander
Pris au hasard parmi les nombreuses nouveautés de ce mois de janvier, Les Mangeurs de Nuit est une très belle découverte dont la lecture m'a semblé trop courte tellement j'aurais aimé accompagner encore un peu les personnages dans leurs aventures et leurs bouleversements émotionnels. Marie Charrel nous conte le destin inoubliable de deux femmes et d'un homme, au Canada, des années 1920 aux années 1950. Il y a d'abord Aika. Elle est ce qu'on appelle une picture bride, une jeune fille japonaise mariée à un immigré nippon déjà installé au Canada et qu'elle ne connaît que sur photo avant d'embarquer pour l'inconnu. Ensuite il y a Hannah, sa fille, une Nisei ou Japonaise de la seconde génération, qui n'a connu que les forêts et les villes de la Colombie-Britannique et qui se sent profondément attachée à son pays natal. Mais c'est sans compter sur le racisme anti-japonais qui sévit en Amérique du Nord après l'attaque de Pearl Harbour. Enfin il y a Jack, un creekwalker qui arpente les bois et surveille les cours d'eau pour le compte du gouvernement. Elevé par sa belle-mère indienne après le décès de son père, il a fait ses siennes les légendes et les croyances autochtones. Rien ne prédestinait Hannah et Jack à se rencontrer et pourtant un ours blanc, inconnu dans cette région du Canada bien que bien présent dans les récits mythologiques indiens, va leurs bouleverser leurs destinées.
Gaëlle Nohant
Editeur : Grasset Réserver ou commander
L'International Tracing Service est le plus grand centre de documentation sur les persécutions nazies. Basé à Arolsen en Allemagne depuis la fin de la Seconde Guerre Mondiale, il rassemble les archives des camps de concentration et des informations sur les personnes déportées et déplacées suite au conflit. Inspiré du méticuleux et patient travail d'investigation des employés de cette institution, Le bureau d'éclaircissement des destins est un roman bouleversant. On y découvre Irène, une française qui y travaille depuis les années 90. La directrice du centre lui confie une nouvelle mission : tenter de restituer, à des survivants ou à leurs descendants, quelques uns des milliers d'objets dont le centre a hérités. Irène s'embarque alors dans trois enquêtes dont elle ne sortira pas indemne.
Michelle Gallen
Traduit de l'anglais (irl) par Carine Chichereau
Editeur : Joëlle Losfeld Réserver ou commander
Majella vit avec sa mère alcoolique à Aghyboghey, petite ville sinistrée d'Irlande du Nord. Elle travaille pour le bien nommé Fish and Chips "Salé ! Pané ! Frit ! ", sert les mêmes clients perdus, regarde "Dallas" et n'est pas sociable. Son oncle a été tué alors qu'il fabriquait une bombe pour le compte de l'IRA. Son père a mystérieusement disparu. La jeune fille de 28 ans a besoin d'une vie structurée et, obstinée, Majella s'y attelle quotidiennement. Son seul rêve est de s'acheter une couette bien épaisse. Lorsque sa grand-mère décède, une prise de conscience bien souterraine va s'opérer en elle...
Quel merveilleux personnage que Majella, forte dans tous les sens du terme, extraordinaire dès les premières lignes, dans ses résignations, ses excès, son argot, son amour de la répétition, son spectre autistique, son gros corps, ses frites et son coca qu'elle ingère chaque soir. L'autrice a cet art de nous présenter des personnages bardés de défauts et de nous les faire aimer immédiatement. Majella est une héroïne compliquée et nuancée, que la plume de Michelle Gallen aime passionnément.
C'est un roman qui sent la bière, les frites au vinaigre, les corps trop gros, les chutes dans l'escalier, la solitude ou la pauvreté et pourtant quelle énergie, quelle drôlerie. Michelle Gallen ne renonce pas à parler de violence et de déchirure (on est loin du roman rose bonbon et girly). C'est une écriture éclatante, pleine d'argot et le travail de la traductrice Carine Chichereau est extraordinaire.
Un roman doté d'un sacré caractère irlandais !
Natasha Brown
Traduit de l'anglais par Jakuta Alikavazovic
Editeur : Grasset Réserver ou commander
Court roman, grand éblouissement tant ce roman est politique et littéraire !
Telle une Alice à la peau noire, la narratrice d’Assemblage, dans un monologue fragmenté et vertigineux, fait l’expérience de la dissociation pour examiner sa vie et le monde dans lequel elle a grandi, monde pour lequel elle s’est tue et a baissé les yeux. Elle nous raconte les mots, les gestes, les puanteurs, ses propres acquiescements , tous révélateurs d’une société et d’un système racistes et colonialistes.
Le premier roman de Natasha Brown est radical, aigu, intelligent. Chaque mot compte, l'autrice développe un particulier tout un lexique sur l'artificialité stupéfiant : elle y parle de forme, de caricature, de composition, de parodie, de docilité, de capital social, et sur chacune des pages de ce court roman, c’est subtil et brillant. Les phrases deviennent des vagues d’écume et de colère, froides, aigües qui obligent à s’interroger.
« Je ne sais pas vraiment pourquoi je fais certaines choses, parfois. Pourquoi est-ce que je m’excuse ? Ou que je dis ça va, merci. Et vous ? Pourquoi est-ce que je m’éloigne de la bordure du quai ? Ces questions ne sont ni sophistiquées ni intelligentes. Et pourtant, il m’arrive d’être incapable d’y répondre. Je n’arrive pas à me rappeler la bonne réponse. »