Francesca Melandri, trad. de l'italien
Gallimard, 565 pages, 24€
Tous, sauf moi, est le troisième roman de Francesca Melandri publié chez Gallimard et, encore une fois, c'est un coup de coeur de la librairie. Nous sommes à Rome, en 2010. Ilaria, professeure, quadragénaire et célibataire, rentre chez elle et découvre sur son palier un jeune Éthiopien. Il dit s'appeler Shimeta Ietmgeta Attilaprofeti et rechercher son grand-père, Attilio Profetti. Or, ce dernier n'est autre que le père d'Ilaria. Comment est-ce possible ? Comment ce jeune migrant peut-il être son neveu ? Ilaria décide de creuser dans le passé de son père, aujourd'hui un vieil homme de presque 100 ans. Ce qu'elle va découvrir c'est l'histoire du passé colonial de l'Italie et les heures sombres de l'occupation de l'Ethiopie par les Chemises Noires, faite de massacres et de violences. Elle découvrira aussi le destin de la famille de Shimeta et le rôle joué par son propre père dans ces terres africaines. Un roman sur l'histoire de l'Italie fasciste mais aussi un panorama de l'Italie de Berlusconi et du sort tragique des migrants.
Marc Trillard
Le Mot et le Reste, 360 pages, 24€
Envoyée par son quotidien en Nouvelle-Calédonie pour y couvrir des élections, la journaliste Gabrielle Neuville en vient à s'intéresser à l'archipel voisin, les Nouvelles Hébrides, théâtre lui aussi d'un scrutin important. Nous sommes en 1979 et les iliens sont amenés à se prononcer pour ou contre leur indépendance. Les Nouvelles Hébrides ? C'est à peine si la journaliste peut les placer sur une carte. Elle sait encore moins que Français et Anglais s'y partagent le pouvoir et que l'opposition entre les deux camps est féroce. Elle y découvrira aussi une étrange secte, les John From, qui voue un culte aux cargos américains. Marc Trillard nous fait découvrir cette poignée d'ilots perdus dans l'Océan Pacfique que l'on connait aujourd'hui sous le nom de Vanuatu. En suivant les pas de Gabrielle, l'on sillone cette terre inconnue et on en découvre la passionnante histoire.
À Vancouver, en 1991, Ai-ming, jeune femme fuyant les répressions suite au soulèvement de la place Tian'anmen, est accueillie chez Marie, 10 ans, et sa mère. Entre elles se noue un lien très fort. En discutant avec Ai-ming, Marie se rend compte des liens qui unissent leur famille et que connaitre leur histoire commune pourra lui en apprendre plus sur son père qu'elle a peu connu. Des années plus tard, Marie se lancera dans cette quête de vérité. L'on remonte alors au temps de la Révolution culturelle quand leur deux familles étaient très liées. Jiang Kai, le père de Marie, était un pianiste célèbre tandis que son ami, le père de Ai-ming, se consacrait à la composition. Mais à l'ère du "Grand Bond en avant", la musique est une activité bien trop égoïste donc bourgeoise pour ne pas être réprimée...
Ce roman ressemble à un grand fleuve profond, puissant, plein de méandres, dans lequel il faut se laisser emporter, sans trop chercher à en maîtriser le cours. Il y a d'abord tous ces personnages modestes et attachants aux noms fleuris - Ours volant, Oiseau du silence, Ai-ming, Ba-luth, Pinson, Grand-mère Couteau, leurs vies mouvementées, entrelacées, soumises à la brutalité d'un régime autocratique. Il y a cinquante d'histoire chinoise, de la Révolution culturelle aux manifestations de la place Tian'anmen, cinquante ans pendant lesquels, sous prétexte de créer un Homme Nouveau, le régime brise les êtres, crée le malheur et les cataclysmes. Il y a la musique qui traverse tout le roman, avec une extrême érudition; la musique, cette passion qui anime tous les personnages, les fait vibrer et rester humains, et que pourtant ils ne peuvent vivre pleinement. Il est aussi question d'un manuscrit Le livre des traces, que l'on se passe de génération en génération, qui semble renfermer mille vies, fictives ou réelles, dont on sème des copies pour laisser des messages destinés aux amis partis aux camps de rééducation. Il y a de l'humour, de l'amertume aussi, du lyrisme et de l'effroi.
Madeleine Thien tisse une toile vibrante entre l'intime et le grande Histoire dans cette vertigineuse quête des origines, questionnant aussi bien le pouvoir de la musique, la force de la mémoire, la soif de liberté, que la cruauté du destin, les racines familiales, la résilience, le tout d'une écriture fluide, poétique, mélodique.
Danya Kukafka, trad. de l'anglais
Sonatine, 340 pages, 22€80
Qui a tué Lucinda Hayes, lycéenne charismatique, aimée de ses professeurs et de ses camarades ? Les récits de trois personnages viennent nous éclairer sur les dernières journées de l'adolescente. Ainsi, trois proches de la victime se font entendre : Cameron, son voisin, un adolecent perturbé, obsédé par Lucinda, Jade, une jeune fille au comportement étrange, jalouse de son ancienne amie et Russ, un flic désabusé, dont le beau-frère est l'un des principaux suspects. L'alternance de ces trois voix brosse le portrait d'une petite ville du Colorado où le mal peut surgir de l'inattendu.