Voici quelques idées de lecture pour tous les goûts, de tous les styles, de toutes tailles, pour combler toutes vos envies.
Trois romans et trois occasions de ressusciter le passé. Suspendre le temps - à la faveur d’un voyage aux Philippines (Avenue des mystères de John Irving), d’un interminable été (Retour à Oakpine de Ron Carlson) ou de la recherche d’un frère perdu (Les vieux ne pleurent jamais de Céline Curiol). Et regarder derrière soi avec tendresse et nostalgie. Trois occasions aussi de panser les vieilles blessures, d’exorciser les démons qui nous hantent pour finalement regarder avec sérénité ce qu’il reste du chemin à parcourir.
Trois femmes, trois écrivaines, trois sensibilités pour nous livrer trois livres très touchants: M Train de Patti Smith, Personne ne disparaît de Catherine Lacey et Mémoire de fille d'Annie Ernaux.
On peut toujours compter sur les auteurs américains pour nous offrir de grands romans intelligents, profonds, bien construits, qui tiennent en haleine pour de longues heures. Purity de Jonathan Franzen et City on fire, premier roman de Garth Risk Hallberg, sont deux récits éblouissants de maîtrise, à l'intrigue extrêmement bien menée.
Deux grandes sagas peuplées de personnages inoubliables nous ont enchantés par leur souffle, leur ampleur. Dans Les rues d'hier, nous suivons le destin d'une grande famille juive de la bourgeoisie de Francfort à travers la première moitié du XXe siècle, tandis que Nulle part de l'Indien Kalyan Ray nous entraîne de l'Irlande à l'Inde, en passant par l'Europe de l'Est et New York, au gré de nombreux rebondissements. Énorme coup de coeur également pour Le nouveau nom, fresque vivante, vibrante qui raconte l'amitié entre Lila et Elena, à Naples dans les années 50. À la fois plongée dans la vie d'un quartier populaire dans une époque de boom économique, dans une société dominée par les hommes, et roman d'apprentissage qui fouille sans concession les ressorts d'une amitié essentielle et pourtant faite de rivalités, cette saga nous fait vivre au rythme de ses personnages, et ceci avec une extrême sensibilité.
Des personnages à la destinée hors du commun, aux prises avec les tourmentsde l'Histoire, sont au coeur de très beaux livres. Tout d'abord, Invisible sous la lumière ou le destin tourmenté et riche aussi d'une des premières femmes athlètes. La route étroite vers le nord lointain : un médecin australien dans un camp de prisonniers, contraints de participer à ce projet fou de construction de la "voix ferrée de la mort" à travers la jungle birmane. À l'orée du verger, de Tracy Chevalier dont le talent de conteuse fait à nouveau merveille dans ce beau roman dans le monde des pionniers américains.
Deux auteurs, deux découvertes : traduits pour la première fois, ils font preuve d'une maîtrise étonnante. Un bref mariage, d'un écrivain srilankais, est l'histoire poignante d'un jeune garçon dans un camp de réfugiés, déjà très abîmé par les coups du destin, qui le temps de quelques moments, redécouvrira la douceur. Ensuite, Les étoiles s'éteignent à l'aube, d'un auteur appartenant à la nation ojibwé, raconte une rencontre père-fils, dans les contrées sauvages du Canada.
Deux, trois petites choses à deguster également : un beau roman d'amour fantasque et poignant avec En attendant Bojangles. Ainsi que deux voyages japonais avec un récit poétique et charmant, une ode à la cuisine et à la vie, Les délices de Tokyo, et la simplicité délicate d'un récit de Shimazaki, Hôzuki.
Terminons en beauté avec La maison dans laquelle. Fascinant mélange entre un Harry Potter écrit sous acide et la noirceur de Sa Majesté des mouches. La Maison dans laquelle est un roman qui laisse sans souffle. Car la Maison enveloppe, oppresse et libère tout à la fois. Dans cet univers clos et hors du temps, des adolescents vivent, grandissent, construisent leur normes, leur hiérarchie, leur mythologie. Toute la beauté de l’enfance et toute la cruauté du monde s’y retrouvent piégées. Un roman unique et déjà culte, pour ceux qui auront eu le courage de s’y atteler.
L'été est là et avec lui notre traditionnelle sélection de "Poches de l'été",
des titres coups de coeur pour tous les gouts à emporter partout!
Cette année, nous y ajoutons la sélection des libraires Initiales (ceux qui vous offrent le beau magazine éponyme ), groupement de libraires indépendants et motivés, dont nous faisons désormais partie (pour plus d'informations, cliquez ici). "Sous les pavés la plage" est une série de titres aussi longs que passionnants, des nouveautés ou des romans cultes qui vous accompagneront longtemps sur la route!
Ci-dessous la liste...
Lire la suite : Les poches de l'été et la plage sous les pavés
Silvia Tennenbaum, trad. de l'anglais,
Gallimard, 623 p., 24.50 €
Les Wertheim, famille juive de la bonne bourgeoise de Francfort, se sentent pleinement appartenir à la nation allemande : ils participent à la vie économique, culturelle, sont ouverts aux nouveaux courants artistiques, philosophiques, fêtent Noël et s'engageront lors de la Grande Guerre. Le patriarche dirige une florissante entreprise de textile, et son plus jeune fils s'apprête à lui succéder. Bien que composé de personnalités très différentes, le clan reste très uni. L'oncle Eduard veille au bien-être des siens, avec une légère pointe d'autoritarisme. Mais bientôt, les tensions montent, les lois antijuives sont promulgées, certains membres de la famille s'exilent, d'autres restent. Arrive la guerre...
Une bouleversante saga familiale qui nous fait traverser tous les remous de la première moitié du XXe siècle, à la suite de merveilleux personnages.
Annie Ernaux, Mémoire de fille
Gallimard, 2016, 151 pages
C’est l’absence de sens de ce que l’on vit au moment où on le vit qui multiplie les possibilités d’écriture.
Dans Mémoire de fille, Annie Ernaux propulse son lecteur au coeur d'un été, celui de 1958. Pour celle qui s’appelle encore Annie Duchesne, c’est l’été de ses dix-huit ans, le premier été où elle échappe à l’emprise familiale, l’été de la libération. Cet été-là, Annie Duchesne arrive comme monitrice dans une colonie de vacances. De la vie et des garçons, elle ne connaît pas grand-chose. Elle est peu sortie de son village, Yvetot en Normandie, et du pensionnat catholique pour jeunes filles où elle séjourne pour suivre le lycée. Elle a de l’existence une connaissance livresque; elle a beaucoup de fantasmes, de désirs. Elle a tout à découvrir. L’été 58, c'est l'été où Annie Duchesne fait l’expérience de la sexualité -qu’Annie Ernaux nommera le « ravagement ».
L’idée que je pourrais mourir sans avoir écrit sur celle que très tôt j’ai nommée « la fille de 58 » me hante. Un jour, il n’y aura plus personne pour se souvenir. Ce qui a été vécu par cette fille, nulle autre, restera inexpliqué, vécu pour rien. Annie Duchesne n’a pas encore lu Le Deuxième sexe de Simone de Beauvoir et ce sont les « bribes de son discours intérieur » qu’Annie Ernaux cherche à retranscrire dans son texte. Elle est à la fois si loin et si proche de cette « fille de 58 ».
La grâce de l'écriture d'Annie Ernaux, l’usage du présent, le champ lexical dûment choisi, le va et vient constant entre passé et présent, font qu'elle nous implique en tant que lecteur bien au-delà de la simple position de témoin. On sent dans son écriture une urgence à dire ce que c’est d’être et de devenir… une femme, une écrivaine. Je n’ai pas cherché à m’écrire, à faire oeuvre de ma vie : je me suis servie d’elle (…) comme d’une matière à explorer pour saisir et mettre au jour quelque chose de l’ordre d’une vérité sensible.
Dans Mémoire de fille, Annie Ernaux réussit magistralement son projet. À lire de toute urgence!