Nino Haratischwili, trad. de l'allemand.
Piranha, 956 pages, 26.50€
L'histoire commence en 1917 en Georgie, avec Stasia, fille d'un chocolatier de génie, qui rêve de devenir danseuse étoile. Elle rencontre le premier lieutenant Simon Iachi, en tombe amoureuse et se marie, puis arrive la révolution d'octobre... À partir de là et tout au long de ces 900 pages toujours passionnantes, riches, émouvantes, amusantes, le récit se déroule sur six générations, de Londres à Berlin, de Vienne à Tbilissi et épouse les soubresauts de ce siècle et de ce pays méconnu, lié à la Russie et pourtant si différent.
L'auteur réussit une saga familiale de grande envergure, captivante, opulente, qui tisse d'innombrables fils entre les personnages de cette famille géorgienne et l'histoire du XXe siècle. Laissez-vous embarquer!
Gregory Cingal,
Finitude, 140 pages, 15€
L'auteur a été un espoir de tennis avant de voir ses rêves de gloire s'éteindre à cause d'un souffle trop court. A défaut de pouvoir pratiquer le beau geste au tennis, il évoque pour nous d'une plume à la fois élégante, nostalgique et drôlissime l'atmosphère des tournois de province, les coups de sangs et emportements des joueurs de seconde zone, l'importance du bandeau en éponge orné d'un petit crocodile, les coups magifiques, grandioses, inimitables de joueurs méconnus.
Pour les amateurs de tennis et de belle littérature, ou de belle littérature uniquement. Un régal.
Martin Solares, N’envoyez pas de fleurs, traduit de l’espagnol (Mexique) par Christilla Vasserot,
Christian Bourgois, 2017
« Il leur dit qu’il y avait une personne capable de retrouver la petite: un ex-policier. Il leur dit que si l’individu en question était toujours vivant, après le différend qu’il avait eu avec ses propres collègues, il serait la personne idéale, parce qu’il avait déjà survécu au moins deux fois à ce genre d’affaires, pour lesquelles un suicidaire est plus utile qu’un enquêteur. Il leur dit que si d’aventure il était toujours vivant, ce qui n’était pas improbable, ils pourraient peut-être le trouver dans des états voisins, Veracruz ou San Luis Potosi, car il était arrivé plus d’une fois qu’un de ses informateurs signale sa présence sur la route qui descend vers La Eternidad. D’après les informateurs en question, il conduit toujours une voiture blanche et se rend régulièrement dans un restaurant près du fleuve, en face des brise-lames. Il reste attablé là une ou deux heures, discute avec les propriétaires, fait ses petites affaires et retourne sur ses pas, pour aller où, personne ne le sait vraiment. D’autres disent qu’il fait de la contrebande, mais ça me semble peu probable, souligna le consul, il s’est toujours tenu à l’écart du crime.»
Il s’appelle Carlos Trevino. C’est un ancien flic du commissariat de La Eternidad. Il est recherché, a changé de vie et a promis à sa femme qu’il ne mènerait plus d’enquête.
L'autre s’appelle Margarito Gonzalez. Il est commissaire de police de La Eternidad. Il est corrompu jusqu’au bout des ongles, voue une haine sans limite à Carlos Trevino et sa femme l’a quitté.
N’envoyez pas de fleurs nous fait entendre la voix de ces deux personnages dont les chemins se croisent et se décroisent au fil d’une intrigue complexe et passionnante. Bien plus qu’un thriller c’est toute la société mexicaine moderne que nous décrit ici Martin Solares. Gang, police, petites gens et riches industriels, politiciens tous tentent de sauver leur peau dans ce monde violent, injuste et corrompu. Comme dans Les minutes noires paru aux éditions Bourgois en 2009 et en 2010 au éditions 10/18, Martin Solares poursuit ici son exploration de l’âme humaine celle des flics, ex-flics, journalistes ou autres ainsi que son exploration proprement littéraire et c’est très réussi. L'auteur dit d'ailleurs: « Ce qui m'intéresse n'est pas de créer des miroirs de la réalité, mais d'en proposer des mirages : des récits qui puissent convaincre le lecteur de suivre une série d'images plus suggestives que celles du quotidien, afin de le submerger dans une autre réalité - la fiction littéraire - et transformer ainsi son point de vue. Mon intention était d'inventer une maison blanche qui ait une maison noire à l'intérieur, au centre de laquelle il y aurait un jardin ».
Adam Haslett, trad. de l'anglais (Etats-Unis)
Gallimard, 440 p., 23 euros.
Ils sont deux dans cette famille à être atteints de ce mal insidieux : la dépression.
Quand Margaret toute jeune rencontre John, elle est séduite, il est enthousiaste, entouré de nombreux amis et surtout il sait la faire rire. Elle ignore encore tout de cette maladie, de cette face sombre qui peut fondre sur son fiancé. Elle l'apprendra avant le mariage et pourtant construira sa vie avec lui. Ensemble ils auront 3 enfants, dont l'aîné, Michael, hypersensible, passionné, angoissé, éprouve aussi cette difficulté à vivre. Au fil des années, l'histoire de cette lutte contre le poids de la dépression et les coups du sort est racontée en alternance par chacun des 5 membres de la famille : cette douleur qu'ils portent ou qu'ils supportent, ils la vivent , la traversent et la combattent ensemble. Malgré leurs défauts, leurs différences, les incompréhensions, c'est ensemble qu'ils se battent pour veiller les uns sur les autres.
Sur un sujet grave, Adam Haslett réussit une roman profond, lucide, parfois sombre mais traversé par des moments de grâce tant l'amour de cette fratrie est lumineux...