Nathalie Léger
éditions POL, 138 pages
Dans La robe blanche, Nathalie Léger auteure de L'exposition en 2008, Supplément à la vie de Barbara Loden (prix du livre Inter 2012), explore à nouveau le féminin au travers de deux figures : celle de l'artiste italienne Pippa Bacca, qui, vêtue d'une robe de mariée, tentait de faire passer un message de paix et d'amour au monde en guerre et celle d'une mère bafouée et abandonnée brutalement par son mari. Il s'agit de la mère de la narratrice et elle demande à sa fille écrivaine de lui rendre justice par l'écriture : « Pourquoi crois-tu que tu écrives si ce n'est pour rendre justice ?»
En quoi l'écriture ou l'art peut changer le monde ? C'est la question que se pose Nathalie Léger dans son livre. D'une part la narratrice se prête au jeu de l'écriture pour réhabiliter sa mère qui s'était faite humiliée par son homme, ses amis et un tribunal. D'autre part elle expose l'intention de l'artiste engagée Pippa Bacca qui était d'incarner l’union des peuples, «faire régner la paix dans le monde par sa seule présence en robe de mariée» : « Je suis fatiguée de la guerre désormais, je voudrais retrouver la vie d’avant, une robe de mariée, ou quelque chose de blanc, pour cacher ma vocation au triomphe et aux larmes.»
Partie de Milan, Pippa Bacca a traversé l’Europe, mais n’est jamais arrivée à destination. Elle a été violée et assassinée en Turquie le 31 mars 2008. Elle avait 33 ans.
Pippa Bacca était une artiste qui mettait sa vie et son corps en scène, la performance ne flirtait pas sciemment avec la mort, mais au bout du compte l’a provoquée.
«Ce n’est pas son intention qui m’intéresse ni la grandeur de son projet ou sa candeur, sa grâce ou sa bêtise, c’est qu’elle ait voulu par son voyage réparer quelque chose de démesuré et qu’elle n’y soit pas arrivée.»
Ce que demande sa mère est également inatteignable mais malgré de multiples résistances, la narratrice finit par accomplir ce geste d'écriture à la fois réparateur vis-à-vis du reste du monde et réconciliateur entre elle et sa mère.
Dans les deux cas, celui de l'artiste et celui de l'écrivaine et sa mère, La robe blanche explore la frontière, si elle existe, entre l’art, la littérature et la vie.
Pauline Delabroy-Allard
Editions de minuit, 188 pages
A la très chère, à la très belle,
Qui remplit mon cœur de clarté,
A l’ange, à l’idole immortelle…
Baudelaire. In. Roland Barthes. Fragments d’un discours amoureux
Lorsqu’elle rencontre Sarah, la narratrice est en couple avec un homme et un enfant. Elle n’a jamais été attirée par une femme. Mais là c’est rapidement le coup de foudre, l’impossibilité de se quitter, l’esprit qui ne pense qu’à l’autre, le besoin incessant d’être avec l’autre, de le toucher, de le caresser, de lui faire l’amour.
Sarah est un tourbillon. Elle est joyeuse, fonceuse, peu soucieuse des normes, exubérante et habillée n'importe comment. Et c'est ainsi qu'elle entre dans la vie de la narratrice, comme une tornade, emportant tout sur son passage.
Ça raconte Sarah est une exploration du sentiment amoureux, d’une passion dévorante jusqu’à la dépossession de soi. Lorsque Sarah s’éloignera de la narratrice cette dernière en perdra la raison. Commencera alors le temps de l'errance, le temps du chagrin, l'attente de la mort.
Pauline Delabroy-Allard travaille son texte de façon à rendre en mots l'état de passion amoureuse. Elle cherche, tâtonne pour trouver les termes justes qui décriront l'être aimé. Elle cherche à traduire la fièvre qui saisit notre protagoniste au contact de Sarah. Le rythme est rapide, les phrases courtes comme la respiration altérée par la passion de la narratrice qui peu à peu se retrouve à bout de souffle. Le lecteur est emporté dans les tourbillons de la langue de l'auteure qui ose faire voler les codes au nom de la passion. Du latin patior, la passion est souffrance, l'idée d'endurer avec démesure, exagération, intensité... Et c'est ainsi que Pauline Delabroy-Allard, digne héritière d'une Marguerite Duras, s'attelle à son texte, prenant à bras le corps syntaxe, vocabulaire, conjugaison et n'hésitant pas à faire voler en éclat les conventions.
Dans le deuxième mouvement du livre, celui de la défaite, celui du déchirement, celui du manque, celui où Sarah tombe malade, celui où Sarah s'éloigne de la narratrice, cette dernière sombre peu à peu dans la mélancolie, dans la dépression, dans la folie, les chapitres s'allongent, les phrases se délitent, le rythme ralentit jusqu'à s'éteindre comme le narratrice qui se meurt de chagrin à Trieste.
Voilà la rentrée littéraire bien amorcée... Plus de 500 romans qui sortent en très peu de temps et le lecteur ne sachant que choisir devant tant de titres... Quant à nous voici déjà un certain nombre de nos coups de coeur de cette rentrée 2018 :
- La robe blanche de Nathalie Léger : une belle réflexion sur les pouvoirs de l'art de la littérature écrite de façon subtile
- Astä de Jon Karl Stefanson : un roman ample sur l'urgence et l'impossibilité d'aimer sur qui se déroule sur plusieurs générations
- Le sillon de Valérie Manteau : plongée dans la vie à Istanbul sous Erdogan, la persécution de la liberté de la presse et des intellectuels
- Leurs enfants après eux de Nicolas Mathieu : le roman d'une jeunesse qui se cherche dans un monde qui se meurt
- Désintégration d'Emmanuelle Richard : La rage d'une jeune française de milieu modeste
- La révolte de Clara Dupont-Monod : une exploration avec intelligence et brio le personnage fascinant d'Aliènor d'Aquitaine
- La vrai vie d'Adeline Dieudonné : un premier roman d'une écrivaine belge à découvrir
- Ça raconte Sarah de Pauline Delabroy-Allard : un amour fou et insensé
- Nirlitt de Julianna Léveillé-Trudel : la découverte de la vie et des moeurs d'une communauté
- Le grand Nord-Ouest de Anne-Marie Garat : une fuite en avant dans le grand nord canadien
- Le coeur converti de Stefan Hertmans : un conte passionnant et une reconstruction littéraire magistrale du Moyen-âge
Bonnes lectures à tous!
Marie Benedict, trad. de l'anglais
Presses de la Cité, 329 pages, 23€40
Milena Maric, jeune serbe handicapée par une jambe boiteuse, est une étudiante brillante. Poussée par son père qui croit en ses capacités depuis sa plus tendre enfance, elle intègre, en 1896, le prestigieux Institut Polytechnique de Zurich. Mais en cette fin du XIXe, elle est la seule femme de sa promotion et peine à s'intégrer. Entre des professeurs mysogines et des condisciples moqueurs, elle se bat pour pouver à tous qu'on peut être une femme et une scientifique de haut niveau. Parmi ses camarades, seul un jeune homme, un Juif aux cheveux hirsutes et à l'allure débraillée ne semble pas gêné par sa présence et la traite d'égal à égal. Cet homme, c'est Albert Einstein. Les deux étudiants tombent amoureux, se marient, ont des enfants et travaillent ensemble à l'élaboration d'articles scientifiques publiés dans les plus grandes revues. Pourtant Milena apprendra à ses dépens que même Albert Einstein ne peut se résoudre à partager sa gloire avec une femme. Madame Einstein est le portrait passionnant d'une physicienne brillante née à une mauvaise époque.