John Burnside, trad. de l'anglais
Métailié,361 pages, 22€
Ce nouveau roman de John Burnside est le récit intimiste de la naissance d'une relation d'amitié entre deux femmes que tout, en apparence, oppose. Kate est une jeune étudiante en cinéma qui vit en colocation avec Laurits, lui aussi étudiant en réalisation, avec lequel elle entretient une relation toxique. Depuis quelques mois Kate se sent perdue, son univers a vacillé depuis la mort de son père. Incapable de surmonter ce deuil, elle s'est réfugiée dans l'alcool, l'oisivité et laisse Laurits développer peu à peu son emprise sur elle. Chargée par son compagnon de récolter des tranches de vies glanées dans la ville pour un projet de film, Kate se présente chez une vieille dame occupée à couper du bois dans son jardin. Elle ne sait pas, alors, que cette rencontre va bouleverser sa vie. Pourtant, Jean n'accueille pas Kate à bras ouverts, elle refuse de lui parler et lui conseille de revenir plus tard, et surtout sobre ! Troublée, Kate accepte le challenge et revient. Jean lui ouvre sa porte. Les deux femmes vont se revoir, souvent, autour d'un thé chaud et de petits gâteaux. Et Jean va raconter sa vie et montrer à Kate que l'on peut continuer à vivre malgré les fantômes du passé qui nous entourent.
Richard Powers, trad. de l'anglais
Cherche Midi, 484 pages
L'Arbre Monde est un roman incontournable, un livre exceptionnel tant par sa construction, par la maîtrise de Richard Powers de son sujet, que par la prise de conscience qu'il provoque. En le refermant on ne peut qu'être convaincu de la nécessité de prendre soin de notre environnement, de l'urgence d'une action collective pour protéger cette nature qui a mis des millions d'années à pousser et que l'homme détruit sans relâche depuis près de cent ans. Le roman commence par une première partie intitulée Racines qui se compose de huit chapitres formant presque chacun une nouvelle indépendante. On y fait la connaissance de huit personnages aux destins bien différents ; huit vies singulières aux quatre coins de l'Amérique, huit hommes et femmes qui ont cependant un élément en commun : un arbre a marqué leur vie. Un arbre planté par un ancêtre sur les terres familiales, un arbre que l'on croise tous les matins au coeur du béton et qui soudain disparaît, un arbre-refuge que l'on escalade gamin les jours où tout va mal, ...Et puis, petit à petit, ces huit protagonistes que la vie a mis un peu en marge de la société, vont décider de s'engager, de passer à l'action, de ne plus rester passifs face à une catastrophe qui se déroule sous leurs yeux : la destruction des forêts, l'abattage des grands arbres pour le seul profit des industries, au risque de voir disparaître tout un éco-système. Ils s'engagent, chacun à leur manière, leurs destins s'entremêlent, leurs luttes deviennent parfois des combats. Outre son côté romanesque véritablement passionnant, le roman de Richard Powers fourmille d'informations sur le fonctionnement des forêts, sur l'interaction entre les arbres et leurs milieux, sur la nécessité de protéger ces poumons de la terre.
Nathalie Léger
éditions POL, 138 pages
Dans La robe blanche, Nathalie Léger auteure de L'exposition en 2008, Supplément à la vie de Barbara Loden (prix du livre Inter 2012), explore à nouveau le féminin au travers de deux figures : celle de l'artiste italienne Pippa Bacca, qui, vêtue d'une robe de mariée, tentait de faire passer un message de paix et d'amour au monde en guerre et celle d'une mère bafouée et abandonnée brutalement par son mari. Il s'agit de la mère de la narratrice et elle demande à sa fille écrivaine de lui rendre justice par l'écriture : « Pourquoi crois-tu que tu écrives si ce n'est pour rendre justice ?»
En quoi l'écriture ou l'art peut changer le monde ? C'est la question que se pose Nathalie Léger dans son livre. D'une part la narratrice se prête au jeu de l'écriture pour réhabiliter sa mère qui s'était faite humiliée par son homme, ses amis et un tribunal. D'autre part elle expose l'intention de l'artiste engagée Pippa Bacca qui était d'incarner l’union des peuples, «faire régner la paix dans le monde par sa seule présence en robe de mariée» : « Je suis fatiguée de la guerre désormais, je voudrais retrouver la vie d’avant, une robe de mariée, ou quelque chose de blanc, pour cacher ma vocation au triomphe et aux larmes.»
Partie de Milan, Pippa Bacca a traversé l’Europe, mais n’est jamais arrivée à destination. Elle a été violée et assassinée en Turquie le 31 mars 2008. Elle avait 33 ans.
Pippa Bacca était une artiste qui mettait sa vie et son corps en scène, la performance ne flirtait pas sciemment avec la mort, mais au bout du compte l’a provoquée.
«Ce n’est pas son intention qui m’intéresse ni la grandeur de son projet ou sa candeur, sa grâce ou sa bêtise, c’est qu’elle ait voulu par son voyage réparer quelque chose de démesuré et qu’elle n’y soit pas arrivée.»
Ce que demande sa mère est également inatteignable mais malgré de multiples résistances, la narratrice finit par accomplir ce geste d'écriture à la fois réparateur vis-à-vis du reste du monde et réconciliateur entre elle et sa mère.
Dans les deux cas, celui de l'artiste et celui de l'écrivaine et sa mère, La robe blanche explore la frontière, si elle existe, entre l’art, la littérature et la vie.
Pauline Delabroy-Allard
Editions de minuit, 188 pages
A la très chère, à la très belle,
Qui remplit mon cœur de clarté,
A l’ange, à l’idole immortelle…
Baudelaire. In. Roland Barthes. Fragments d’un discours amoureux
Lorsqu’elle rencontre Sarah, la narratrice est en couple avec un homme et un enfant. Elle n’a jamais été attirée par une femme. Mais là c’est rapidement le coup de foudre, l’impossibilité de se quitter, l’esprit qui ne pense qu’à l’autre, le besoin incessant d’être avec l’autre, de le toucher, de le caresser, de lui faire l’amour.
Sarah est un tourbillon. Elle est joyeuse, fonceuse, peu soucieuse des normes, exubérante et habillée n'importe comment. Et c'est ainsi qu'elle entre dans la vie de la narratrice, comme une tornade, emportant tout sur son passage.
Ça raconte Sarah est une exploration du sentiment amoureux, d’une passion dévorante jusqu’à la dépossession de soi. Lorsque Sarah s’éloignera de la narratrice cette dernière en perdra la raison. Commencera alors le temps de l'errance, le temps du chagrin, l'attente de la mort.
Pauline Delabroy-Allard travaille son texte de façon à rendre en mots l'état de passion amoureuse. Elle cherche, tâtonne pour trouver les termes justes qui décriront l'être aimé. Elle cherche à traduire la fièvre qui saisit notre protagoniste au contact de Sarah. Le rythme est rapide, les phrases courtes comme la respiration altérée par la passion de la narratrice qui peu à peu se retrouve à bout de souffle. Le lecteur est emporté dans les tourbillons de la langue de l'auteure qui ose faire voler les codes au nom de la passion. Du latin patior, la passion est souffrance, l'idée d'endurer avec démesure, exagération, intensité... Et c'est ainsi que Pauline Delabroy-Allard, digne héritière d'une Marguerite Duras, s'attelle à son texte, prenant à bras le corps syntaxe, vocabulaire, conjugaison et n'hésitant pas à faire voler en éclat les conventions.
Dans le deuxième mouvement du livre, celui de la défaite, celui du déchirement, celui du manque, celui où Sarah tombe malade, celui où Sarah s'éloigne de la narratrice, cette dernière sombre peu à peu dans la mélancolie, dans la dépression, dans la folie, les chapitres s'allongent, les phrases se délitent, le rythme ralentit jusqu'à s'éteindre comme le narratrice qui se meurt de chagrin à Trieste.