LAHIRE Bernard
Pour la sociologie. Et pour en finir avec une prétendue « culture de l’excuse »
La Découverte, 2016, 182 pages, 15,70€
Accusée d’excuser, de justifier voire d’encourager les violences et délits, la sociologie est sans cesse délégitimée par des personnalités politiques ou médiatiques et la voix de ceux qui tentent de faire entendre raison résonne bien faiblement au milieu de ce vacarme. Dans cet essai court et percutant, le sociologue français Bernard Lahire retrace la généalogie des critiques à l’encontre de la discipline et démonte la rhétorique viciée de ses détracteurs.
Aux origines de cette défiance, Lahire pointe la « blessure narcissique » infligée par la sociologie à l’homme moderne, qui a « fait tomber l’illusion selon laquelle chaque individu serait un atome isolé, libre et maître de son destin, petit centre autonome d’une expérience du monde sans contraintes ni causes. » À force d’observation, de contextualisation et d’historisation, la sociologie met ainsi en lumière les déterminismes qui nous traversent tous. Il ne s’agit ici nullement de juger, mais de comprendre, au sens le plus strict, comme le rappelle Lahire qui récuse le parallèle le plus répandu : sociologie égale « science de l’excuse ».
À coup d’exemples et d’arguments, il dévoile comment la résistance à l’idée d’un déterminisme social s’avère être bien plus une volonté de garder dans l’ombre les forces et contre-forces à l’œuvre : dans une société qui voudrait nous faire croire à l’égalité des chances, le rappel des réalités socio-économiques, culturelles ou scolaires contredit les grands principes de méritocratie loués par les dominants de ce monde.
Mais en réhabilitant la sociologie, Bernard Lahire nous montre surtout quel formidable instrument de démocratie est à notre portée : bien au-delà des conclusions auxquelles elle parvient, la sociologie est avant tout un cheminement intellectuel qui permet un décentrement du soi ; qui offre l’occasion de déchiffrer le monde qui nous entoure pour devenir, enfin, « citoyens un peu plus sujets de [nos] actions, dans un monde social rendu un peu moins opaque, un peu moins étrange et un peu moins immaîtrisable ».
Doug Marlette, trad. de l'anglais
Cherche Midi, 670 pages, 24.95€
Le Magic Time est un club de blues à Troy, Mississippi, où Carter Ransom et ses amis venaient écouter les meilleurs groupes du Sud durant leurs années de lycée. Mais en 1965 ce n'est plus qu'un hangar désaffecté où quelques jeunes activistes du Mouvement des droits civiques ont basé leur quartier général. C'est là que Carter retrouve Elijah Knight son ami d'enfance. Cette année-là, plus que jamais, tout oppose les deux jeunes hommes. Carter est le fils de Mitchell Ransom le juge le plus en vue de Troy. Il est blanc, riche, promis à un bel avenir même s'il vient de laisser tomber ses études de droit - ce que ses parents ignorent encore. Elijah est noir, fils de la bonne des Ransom, il n'a aucun espoir dans ce sud profond où la ségrégation règne en maître. Il s'est donc engagé sur les traces de Martin Luther King dans la lutte pour les droits des Noirs. Les activistes multiplient les actions démonstratives à Troy ce qui irrite la population blanche et particulièrement les membres du Ku Klux Klan. Un soir, ces derniers mettent le feu à l'église de la communauté noire, quatre jeunes activistes y trouvent la mort, dont Sarah Salomon, la petite amie de Carter. Deux membres du Klan sont arrêtés. Le juge Mitchell préside leur procès et les deux incendiaires sont condamnés à la perpétuité.
Vingt-cinq ans plus tard Carter est éditorialiste pour un grand journal new-yorkais, de retour à Troy il assiste à la réouverture du procès. Un des deux accusés veut faire de nouvelles révélations et celles-ci mettraient en cause la manière dont le juge Ransom a mené les débats. Il renoue contact avec Elijah ainsi qu'avec d'autres acteurs des événements du passé, bien décidé à faire toute la vérité sur cette douloureuse affaire.
Vaste fresque retraçant le combat des Noirs dans les régions rurales du Mississippi, Magic Time est un roman qu'on ne lâche pas.
Michèle Forbes, trad. de l'anglais
Quai Volatire, 278 pages, 21€
En apparence Katherine et Georges forment un couple parfait. Elle s'occupe de leurs quatre enfants tandis que lui combine un emploi d'ingénieur avec un poste de pompier volontaire. Nous sommes à Belfast en 1969 et la ville connait de vives tensions entres les communautés catholiques et protestantes. Les heurts se multiplient et des incendies criminels éclatent un peu partout. Georges est de plus en plus souvent appelé en renfort et laisse Katherine gérer le quotidien de la maison. Pourtant, par une chaude journée d'été, la famille se retrouve pour une petite escapade à la mer. Tandis que George et les enfants profitent de la plage, Katherine part se baigner. Soudain elle est prise de vertiges, panique et est sauvée de la noyade par son mari. Traumatisée par cette expérience Katherine tente de reprendre le contrôle de sa vie mais elle est hantée par les images de sa noyade et ne cesse de penser à son passé, à ses années d'insousiance quand elle n'était encore qu'une jeune fille libre et indépendante.
En 1949 Katherine, déjà fiancée à George, fasait partie d'une petite troupe de théâtre amateur où elle laissait libre cours à sa passion pour le chant lyrique. Elle y rencontra Tom, le tailleur chargé de son costume. C'est le coup de foudre. Mais cette belle histoire vire à la tragédie. Vingt ans plus tard la jeune femme, obsédée par son passée, elle sombre peu à peu dans la dépression. Georges met l'état de fatigue de sa femme sur le compte du choc de son accident, de la chaleur de cet été sans fin, de la tension qui règne dans la ville. Dépassé lui-même par les événements il ne se rend pas compte que sa femme est en train de sombrer.
Un premier roman tout en délicatesse.
Ahmed Tiab
Aube noire, 244 pages, 18.90€
Kémal Fadil est commissaire de police à Oran. Il traque les trafiquants, les petits délinquants, les passeurs d'immigrés clandestins. Mais voilà que les autorités algériennes lui confie une affaire bien différente qui requiert tact et discrétion. Les cadavres d'un homme et d'un jeune garçon ont été découverts lors de travaux de rénovation dans le vieux centre historique d'Oran. Deux corps enterrés dans la cave d'un immeuble dont et au cou de l'enfant, un crucifix.
Leur mort remonterait aux années soixante durant les heures troubles de la guerre pour l'Indépendance. Kémal Fadil va devoir remonter le fil de l'Histoire et se pencher sur ce qu'on appelait alors les "évènements" d'Algérie. Ahmed Tiab nous plonge au coeur de l'Algérie française dans une enquête passionnante.