Mathias Menegoz,
Folio Gallimard, 640 p., 9€20
Bien loin de toutes les modes littéraires, ce roman historique plein d'orgueil et de fureur nous entraîne dans une chevauchée fantastique et violente à la suite de son héros, le jeune et impérieux comte Korvanyi, aux confins de l'empire austro-hongrois, à travers les plaines brumeuses et les sombres forêts de Transylvanie. En 1833, après un duel pour défendre l'honneur de sa fiancée, la baronne Cara de Amprecht, Alexander Korvanyi quitte Vienne et sa carrière dans l'armée impériale pour s'installer avec sa jeune et fougueuse épouse dans son fief ancestral, délaissé par les seigneurs depuis un demi-siècle. Son immense domaine, appelé la Korvanya, s'étend dans une région reculée, arriérée, peuplée de communautés disparates, Magyars, Roumains, Valaques, Tziganes, qui ne parlent pas les mêmes langues et n'ont pas les mêmes droits. Déjà une véritable poudrière où fermentent les injustices et les haines tenaces! Le comte, tout impregné de l'idéal de sa lignée, entend bien restaurer la grandeur et la puissance familiales. Mais son autorité orgueilleuse mêlée à sa méconnaissance des peuplades et des superstitions de la région le pousse à des décisions brutales, mal comprises, cruelles, qui exacerbent les tensions et feront advenir l'horreur.
Cette grande fresque historique qui décrit magnifiquement cette terre, ses beautés et ses mystères, est aussi un grand roman psychologique : avec finesse et intelligence, Mathias Ménégoz explore les caractères des personnages, les rapports de force et les mécanismes des groupes. Il tisse aussi une toile redoutable, où l'on voit le basculement se rapprocher inexorablement.
Du dépaysement, un grand souffle romanesque, une description historique extraordinaire, des combats épiques, une superbe écriture classique, des personnages complexes et passionnants font de Karpathia un roman dense et envoûtant qui nous plonge dans un monde sombre, inquiétant, un monde de tensions, de revendications communautaires, d'injustice sociale, qui pourrait bien avoir quelques résonances avec le monde actuel...
Craig Johnson, trad. de l'anglais
Gallmeister, 356 pages, 23.80€
À vol d'oiseau, le nouveau volet des aventures du shérif Walt Longmire, est sans doute l'un des meilleurs de la série qui compte pourtant déjà quelques pépites telles que Little Bird, Enfants de poussière, Dark Horse ou encore Molosse. Nous retrouvons notre héros et son fidèle complice Henry Standing Bear en bien fâcheuse posture. Les deux hommes étaient chargé de la location d'un endroit pittoresque pour le mariage de Cady, la fille de Walt, qui aura lieu dans quelques jours. Seulement ils viennent d'apprendre que le lieu ne sera finalement pas disponible à la date prévue et n'osent pas affronter la colère de la future mariée. Ils se lancent alors dans la recherche d'un petit coin de paradis qui pourrait arranger leurs affaires. Mais lors de leur pérégrination dans la réserve indienne, ils assistent impuissants à la chute d'une femme du haut d'une falaise.
Accourus à son secours, ils ne peuvent que constater son décès mais sont aussitôt bouleversés par la découverte, non loin du corps de la jeune fille, d'un bébé miraculeusement indemne. Accident, suicide ou meurtre ? Le shérif se met tout de suite en quête d'indices, mais il n'est pas sur sa juridiction et doit remettre l'affaire entre les mains de la nouvelle chef de la police tribale, la très impétueuse Lolo Long. Walt sait qu'il devrait se conscacrer aux préparatifs du mariage de Cady mais son instinct de policier n'est jamais au repos et il ne peut s'empêcher de creuser quelques pistes. Qui pouvait en vouloir à cette jeune femme sans histoires au point de la pousser d'une falaise avec son bébé ? Un polar plein de rebondissements mais aussi plein de chaleur humaine et d'un brin de magie indienne.
Parker Bilal. Trad. de l'anglais
Seuil, 396 pages, 21.50€
Dans Les écailles d'or nous avions fait la connaissance de Makana, ex-officier de la police soudanaise, exilé politique en Egypte, devenu détective privé. Le voilà aux prises avec une nouvelle enquête qui, sous des apparences anodines, se révélera bien délicate. "L'Ibis bleu", une agence de voyages du Caire, a reçu d'étranges lettres de menaces. Alors que l'industrie du tourisme est déjà bien à la peine en cette année 2001 et que l'Egypte connait des troubles politiques et religieux, le patron de cette petite agence commence à craindre pour la survie de son business.
Makana accepte d'enquêter sur la provenance de ces lettres et découvre vite qu'elles visent en réalité une employée en particulier, Meera. La jeune femme qui se fait discrète ne s'intègre pas réellement au reste de l'équipe. Non seulement elle est copte mais c'est aussi la femme d'un universitaire musulman renvoyé pour ses opinions subversives sur le Coran et menacé par les intégristes dont l'influence ne cesse de croître dans tous les domaines. L'enquête s'annonce d'autant plus difficile que la petite communauté copte du Caire, déjà persécutée, est en proie à une vague de meurtres de jeunes garçons que les autorités égyptiennes veulent attribuer à des rituels obscurs pratiqués dans certaines églises du quartier.
Une situation complexe comme Makana les aime et nous aussi.
Carrie Snyder. Trad. de l'anglais
Gallimard, 350 pages, 22.50€
Dans la maison de retraite où elle a été placée contre son gré, Aganetha Smart vit dans la solitude. À cent ans, c'est une vieille femme affaiblie qui ne voit ni n'entends plus très bien, qui n'a plus guère l'occasion de parler et que les infirmières déplacent dans son fauteuil roulant de sa chambre au réfectoire. De ses nombreux frères et soeurs il ne reste plus personne. Il n'y a plus personne non plus pour se souvenir de sa gloire passée, de son parcours d'exception, de sa vie faite de joies et de malheurs. Mais Aganetha, elle, se souvient de tout. Et lorsque deux jeunes visteurs viennent la chercher dans sa résidence pour l'emmener en promenade, elle se méfie mais se réjouit aussi de cette sortie inattendue. C'est l'occasion de revoir une dernière fois la ferme de ses parents où tant de drames se sont joués, c'est aussi une opportunité de raconter sa longue vie, son enfance heureuse dans la campagne canadienne, sa passion pour la course qui la mena loin de sa famille puis la désillusion et le dur revers de la médialle.
Car ce qui fait d'Aganetha une femme d'exception c'est qu'elle fut médaillée d'or aux Jeux Olympiques de 1928. Les Jeux d'Amsterdam sont les premiers à autoriser la présence d'équipes féminines d'athlétisme. Pendant deux ans la jeune femme va s'entraîner durement au côté de Glad, la sprinteuse, et des autres filles recrutées par Melle Gib, responsable de l'équipe du Canada. Sa passion dévorante pour la course à une époque où la pratique du sport par les femmes est vue d'un mauvaise oeil, où le simple fait de porter un short peut faire de vous une fille aux moeurs douteuses, où la jeune fille canadienne se doit surtout d'être une future bonne épouse, permettra à Aganetha de connaître l'amitié, l'amour, la notorieté mais tout cela sera de bien courte durée au regard des cent années de sa longue vie.