Stephen King, trad. de l'américain par Jean Esch
Albin Michel, 608p., 26€
Un très bon cru pour le dernier Stephen King, L'institut : Luke Ellis, 12 ans, est un petit génie en passe d'entrer à l'université lorsqu'il se fait enlever par un groupe armé (qui assassine ses parents au passage). Il rejoint d'autres enfants et ados dans un sinistre "institut" où ils sont soumis à diverses expériences pour développer leurs pouvoirs psychiques. Luke va bien entendu tenter de s'en évader. Un vrai page turner !
Femmes invisibles de Caroline Criado Perez (First) : Par de nombreux exemples, l'autrice démontre la manière dont le monde qui nous entoure est pensé et conçu par et pour les hommes. Un essai qui résonne avec l'actualité et la mise en lumière de tous ces jobs indispensables, peu valorisés et peu payants, occupés presqu'exclusivement par des femmes.
Les affranchis de Thierry Roth (Érès) : un texte très intéressant et qui porte sur la clinique des addictions. Il dresse le constat de la recrudescence des patients "addicts", fait un lien avec la société libérale et souhaite que la psychanalyse investisse ce terrain (sinon laissé à la psychiatrie).
Terra incognita, une histoire de l'ignorance d'Alain Corbin (Albin Michel): L'auteur retrace l'histoire de l'Homme au moment où celui-ci commence à chercher à comprendre les événements qui l'entoure et à les voir autrement que simplement "l'oeuvre de Dieu" : catastrophes naturelles, ères géologiques, fossiles,... Si le style n'est pas toujours au rendez-vous, le sujet différent est intéresant et passionnant!
Rendre le monde indisponible de Harmut Rosa (La découverte) : Qu'en est-il de notre accès toujours plus large au monde? Est-il souhaitable ? Harmut Rosa, philosophe et sociologue spécialiste du temps, nous invite à revisiter la notion d'insdiponibilité.
Chez soi. Une odyssée de l'espace domestique
Mona Chollet, Éditions Zones, 325 p., 19,70€
Mona Chollet est journaliste auMonde diplomatique.
Elle a notamment publiéLa tyrannie de la réalité(éditions La Découverte) etBeauté fatale. Les nouveaux visages d’une aliénation féminine(éditions Zones).
«La mauvaise réputation »
La maison abrite la rêverie, la maison protège le rêveur, la maison nous permet de rêver en paix. Il n’y a pas que les pensées et les expériences qui sanctionnent les valeurs humaines. Gaston Bachelard
Aujourd’hui l’agitation est devenue norme ; il nous faut, sans répit, rester actifs. S’extraire du tumulte du monde pour jouir de la solitude de son espace domestique est devenu suspect. Le goût du confort domestique et de l’aménagement intérieur sont considérés comme autant de réflexes petit-bourgeois individualistes qui entraveraient l’ouverture au monde et la curiosité.
Pour Mona Chollet, au contraire, ces moments passés à l’abri offrent les ressources nécessaires pour découvrir le monde différemment, en y accédant autrement que via les impératifs et les contraintes qui façonnent la vie sociale aujourd’hui. « La maison desserre l’étau », écrit-elle, intégrant les critiques dénonçant l’individualisme pour mieux s’en défaire : sans ce recours à la solitude, sans cette «base de repli » qu’est l’espace domestique, on ne peut apporter de contribution satisfaisante à la vie collective.
Fantasmes et réalité
Dans une société où nous sommes sans relâche arrachés à nous-mêmes, comment aller vers soi sans encombre? Raoul Vaneigem
Dans cet essai, Mona Chollet ne se contente pas de faire l’apologie du foyer, elle dénonce surtout la manière dont notre rapport à la maison est révélateur des tensions qui caractérisent notre époque : le manque d’espace et le manque de temps. Car pour pouvoir habiter un espace, encore faut-il y avoir accès ainsi que le temps de l’investir.
L’habitation est sans doute le lieu le plus révélateur des inégalités et des rapports de domination qui frappent le monde. La crise immobilière de 2008 liée aux subprimes et ses conséquences dramatiques sur le logement en sont l’un des exemples les plus frappants.
Le matraquage marketing autour du « petit espace, chaleureux et cosy » dont IKEA est le fer de lance, ou le mythe de la Tiny House, petite cabane où l’on peut vivre en autonomie partielle et accéder à la propriété à bas coût témoignent aussi de la manière dont les discours dominants/dominateurs ont profondément modifié notre manière de voir les choses. En effet, ce fantasme du living small ne doit pas masquer que c’est bien le manque d’autres possibilités qui dirige notre choix et qu’«il ne s’en faut pas de beaucoup pour que le carrosse du petit espace "malin"redevienne la citrouille du mal-logement », car voilà bien la réalité derrière les belles promesses.
Quant au temps passé chez soi, il souffre d’un manque de considération inversement proportionnel à la valeur accordée au travail. Le travail, la productivité – la croissance ! – sont les maîtres mots de notre société. La doxa économique a ainsi transformé notre manière de vivre et d’aborder les périodes de temps libre. De manière pernicieuse, la culpabilité a remplacé le plaisir de rêver, créer, dormir. Ne rien faire est subversif ; dorénavant on aime « se tenir occupé », on raille les lève-tard, sans parler du discours tenu à l’encontre des chômeurs, ces « assistés », « faiinéants » qui ne participent pas à l’affairement frénétique qui a remplacé toute autre notion du temps.
On l’aura compris, l’essai dont il est question ici, sous couvert d’un sujet léger a priori, est en réalité un ouvrage dense et très documenté qui balaye tous les domaines de la culture, de la philosophie, de l’architecture, de la politique, des nouvelles technologies, du féminisme… Un livre passionnant, à dévorer bien au chaud… chez soi !
Eric Chauvier,
Allia,139 pages, 8€
Qui est Laura? Une femme de quarante ans en difficulté économique et sociale? La jeune fille la plus jolie de la ville, proie de tous les garçons? Le grand fantasme sexuel d’Eric jusqu’à aujourd’hui? Laura Palmer tout droit sortie de la série Twin Peaks de David Lynch?
Sur le parking d’une usine, Laura et Eric se retrouvent, se parlent, se racontent. Eric essaie de la séduire, tente de la comprendre, surtout de la séduire, mais il constate qu’ils ne sont plus vraiment du même monde. Et pourtant, si… Mais Laura lui fait peur, à lui qui a quitté "ce bled", à lui qui est devenu anthropologue, à lui qui passe sa vie entre Bordeaux et Paris. Il se croyait rebelle mais c’est Laura qui s’insurge contre ce trou pourri où elle s'est construite, où elle a échoué, où elle s'échoue ; c'est Laura qui s'insurge contre ce monde injuste où les riches s'enrichissent et les pauvres s'appauvrissent. C'est Laura qui lui plaît, Laura qui lui fait peur… Quand ils étaient à l'école primaire et que Laura avait des mauvaises notes, lui, le fils de l'instituteur, il la défendait ; plus tard, il la regardait à la piscine en bikini rouge, il la désirait sans rien oser ; et encore plus tard, lorsqu'elle se pâmait au bras de "l'Héritier" et que toute la ville la traitait de "pute", il ne pouvait le supporter ; alors il est parti, définitivement parti, il s'est extrait, il a quitté ce petit monde étriqué et impitoyable envers les siens...
Mais voilà qu'il est de retour et que son amour pour Laura ne le laisse pas en paix : Laura "la cassos" dixit " Papy" le patron de l'usine, Laura qui boit du mauvais rosé et fume de façon convulsive, Laura dont le mot le plus récurrent est "enculés", Laura qui choque Eric lorsqu'elle parle de "pédés", Laura qui tangue, Laura qui attend ses copains…
L'heure est au combat, Eric le comprend, Tu as raison Laura, tous des enculés, et comme Laura dit, heureusement qu’il y a les autres, ses copains, les autres laissés pour compte, entrés comme elle en clandestinité, les blessés comme elle qui se rebellent, les copains de combat avec qui elle se révolte…