Adrien Bosc
Editeur : Stock Réserver ou commander
« L’invention de Tristan » d’Adrien Bosc retrace la vie d’un écrivain comète, Tristan Egolf. Une vie fulgurante à laquelle il mit fin à l’âge de 33 ans. Auparavant, il y aura eu une enfance en Pennsylvanie, un père fantôme et dangereux, une âme orageuse, des bouillonnements, Paris, l’écriture, un manuscrit perdu, le travail, la peine, une rencontre décisive avec une jeune femme. Un roman, « Le seigneur des porcheries », fleuve de mots et de fureur, de désordre et d’inventions, grand livre doté de mille vies et de mille plaies quand bien même il n’était que cahier noirci.
C’est le temps où se bâtira la légende, un halo que le livre s’évertue à la fois de respecter et de disperser pour approcher au plus près l’écrivain et l’oeuvre.
C’est un livre aussi passionnant qu’habile (narrateur, construction, chronologie) parce qu’il ne se contente pas de parler de la légende Egolf, il réfléchit également au texte en train de s’écrire. Il y a d’abord le choix du narrateur, Zachary, jeune journaliste au New-Yorker, qui, par désarroi personnel, se lance dans la quête Egolf en nous livrant au fur et à mesure du livre et de son apprentissage du métier, plusieurs portraits d’Egolf. Zachary rembobine sans cesse, trouve des angles et de l’amplitude à son article. Comme les cercles concentriques d’une série de ricochets - autour d’un même nom, d’un même temps ou d’un même espace, le livre bouge et vibre, et se déplace sans cesse dans le temps pour ménager la place la plus juste à son sujet et respecter au plus près la parole de ceux qui ont côtoyé l’écrivain. Le roman noue dans ses phrases les lumières, les clairs-obscurs, les chagrins, les paroles et les silences des uns ou des autres (les pages consacrées au couple d’amis d’Egolf, James et Shelly sont magnifiques tant leurs paroles sont vives et déchirantes)
Dans le geste littéraire, que sont la sincérité et l’intégrité ? Questions que se posent Zachary et il me semble avec lui, l’auteur lui-même. Car Adrien Bosc nous livre aussi ici une véritable profession de foi envers le journalisme littéraire.
Le rythme, l’éthique, la vérité. Et le hasard, et la fiction. Un entrelacs de signes et de lignes. Coup de coeur.
Samantha Hunt
Traduit de l'anglais (usa) par alex Ratcharge
Editeur : Le Gospel Réserver ou commander
Tout au nord d’une Amérique au bord du gouffre, dans une petite ville de pêcheur qui ploie sous le ravage de l’alcoolisme, une jeune femme est amoureuse d’un vétéran de la guerre en Irak, beaucoup plus âgé qu’elle. Elle attend son père qui semble avoir disparu en mer il y a onze ans et… est persuadée d’être une sirène.
Grande beauté que ce premier roman de Samantha Hunt (publié en 2018 aux Etats-Unis ), tout le livre se tient sur un entre-deux entre conte et roman, légende et réel, une tonalité qui rend le livre proprement singulier. La narratrice raconte et c’est justement dans sa manière de dire que l’envoûtement agit et nous interroge, passant d’une pensée à une autre, tourbillonnant entre les images, entre le solide des mots et leur évaporation dans l’air. La jeune femme est obsédée par l’eau, et le bleu (et on saisit alors pourquoi Maggie Nelson en a fait la postface - brillante-). Il y a de magnifiques pages consacrées au brouillard, à la vapeur, aux gouttes, aux larmes et tout un art du lexique et de la métaphore pour mieux parler du désir, de l’absence et du manque. « Seul l’océan pour me sauver » parle si bien de la fascination (pour l’océan, pour un homme, pour un père, pour l’étymologie, pour un amour ou un souvenir) et d’un sentiment, en tout point énigmatique, celui de se sentir en totale altérité face au monde et au réel. Et c’est le lecteur qui doute - que raconte-t-elle cette fille si seule et si désirante, est-elle folle ? Peut-on la croire ? Et c’est précisément dans cet interstice que réside la beauté du roman. Samantha Hunt, réussit également, dans ce bruissement poétique et infini à livrer de très belles pages consacrées à Jude, le vétéran, plongé dans le terrible de la guerre en Irak. À mesure qu’il raconte (et ce que le soldat raconte, c’est une femme qui l’écrit - ça change tout), Jude fond littéralement devant son amoureuse : c’est un passage unique et magnifique. Des trouvailles comme celle-là, il y en a beaucoup, qui affolent et enchantent tant la matière et les images semblent inédites.
Caroline Dawson
Editeur : L'Olivier Réserver ou commander
Quelle belle surprise, ce récit est une splendeur !
En 1986, Caroline a huit ans et fuit avec sa famille la dictature de Pinochet pour tenter de se reconstruire au Canada. Récit tout à la fois intime, politique, sociologique et poétique, « Là où je me terre » est d’une vivacité et d’une douceur incomparables. Et surtout si précis dans sa manière d’écrire l’assimilation et le changement de classe sociale… et sa façon toute personnelle de le raconter : c’est fougueux, solaire et extrêmement subtil. On referme le livre et on a l’impression d’avoir de nouveaux yeux et de mieux comprendre le monde. Et puis il y a une beauté toute particulière dans ce récit : le portrait qu’elle fait de sa mère. On pourrait penser qu’on a lu ça mille fois mais Caroline Dawson l’écrit dans un mélange d’hommage, d’amour, de lutte sans nous cacher ses propres paradoxes : « Stupidement, au début de l’adolescence, je me suis construite contre elle, contre ce qui la constituait, pensant que c’était bas, ordinaire ; méprisant sa culture, dédaignant ses lectures. Je ne me rendais pas compte que c’était justement parce qu’elle m’avait tant élevée que je pouvais maintenant la regarder de haut. »
Marin Ledun
Editeur : Gallimard Réserver ou commander
Dans ce polar passionnant, Marin Ledun nous emmène aux îles Marquises. Bien loin des clichés paradisiaques pour touristes, c'est au coeur de la population insulaire que le lieutenant Tepano Morel doit mener l'enquête. Né d'une mère marquisienne et d'un père métropolitain, c'est en France, coupé de ses racines, que Tepano a toujours vécu. Aujourd'hui en poste à Tahiti depuis une poignée d'années, c'est pourtant la première fois qu'il pose le pied aux Marquises, chargé d'une affaire qui s'avère complexe. Une jeune femme a été retrouvée assassinée dans les montagnes. Accompagné de Poerava Wong, il tente de dresser le portrait de Paiotoka O'Connor, une femme libre, engagée, soucieuse de protéger les traditions et la nature de ses îles mais aussi aux prises avec les difficultés de la jeunesse locale, marquée par les blessures de l'histoire des Marquises et par la misère qui touche une génération sans avenir. Tepano découvrira aussi que le souvenir de sa mère, si mystérieuse sur son passé, est toujours bien vivace, ici, aux antipodes.