Ilaria ou la conquête de la désobéissance (Gabriella Zalapi. Editions Zoé, 17€) : Un jour de juin 1980, le père d'Ilaria, 8 ans, vient la chercher en voiture à la sortie de l'école mais ne la ramène pas à la maison. Commence alors une cavale désordonnée, d'aires de parking en hôtels miteux, racontée à hauteur d'enfant par Ilaria, tiraillée entre sa loyauté vis-à-vis de son père et sa propre peur. Rien n'échappe au regard de la petite fille des manquements et des mensonges du père, et pourtant leur errance est traversée par des moments de joie pure. En phrases courtes, avec une grande acuité psychologique et des sensations finement décrites, Gabriella Zalapi fait battre notre coeur à l'unisson d'Ilaria, cette enfant qui voit tout et ressent tout .
Le rêve du jaguar (Miguel Bonnefoy, Rivages, 20€90) : S'inspirant du destin exceptionnel de ses grands-parents, Miguel Bonnefoy tisse une saga familiale flamboyante sur fond d'Histoire du Vénézuela. On y retrouve toute la splendeur de l'Amérique Centrale, de ses forêts luxuriantes, de ses légendes pittoresques et de ses personnages hauts-en-couleur.
Après "Le voyage d'Octavio", "Héritage", ..., Miguel Bonnefoy nous éblouit encore par la force de son imaginaire et son art de conteur proprement magique.
La petite bonne (Bérénice Pichat, Les avrils, 21€20) : En France, dans les années 30, la petite bonne est au service de plusieurs familles bourgeoises, dont les Daniel. Monsieur est un ancien pianiste et une gueule cassée de la Grande Guerre, mutilé et aigri. Madame a renoncé à toute vie mondaine pour s'occuper de son mari. A-t-elle bien fait? Pour quels bénéfices ? Exceptionnellement Madame part en week end et il n'y aura que la petite bonne pour rester avec Monsieur.
Le lien inattendu qui se crée entre ces êtres, l'alternance des points de vue, marqué par des différences de style, la délicatesse des sentiments, la force des silences et la lumière auréolant ce petit bout de femme, la confrontation bouleversante et le beau dénouement font de ce premier roman une perle de beauté, de profondeur et d'humanité.
La vie qui reste (Roberta Recchia, trad. de l'italien, Istya, 22€) : Il y a l'avant et l'après, "La vie qui reste". Avant, il y a une belle histoire d'amour entre Marisa et Selvio et un bonheur familial simple avec leurs deux enfants. Tout s'arrête l'été 80 lorsque Betta, 15 ans, leur ado lumineuse, est assassinée sur une plage. Après cela, comment ne pas sombrer ? Marisa s'englue dans sa tristesse tandis que Selvio noie son chagrin dans la boisson. Et que dire de la cousine de Betta, présente lors de ces événements et qui porte un lourd secret ? Avec beaucoup d'empathie, une belle simplicité dans l'écriture, Roberta Recchia trouve le ton juste, la note d'espoir au milieu de cette histoire dramatique. C'est surtout très belle histoire d'amour, de résilience, de rencontres qui vous forcent à avancer.
Intermezzo (Sally Rooney, trad. de l'anglais (Irlande), Gallimard, 22€) : Quatrième roman de la romancière irlandaise de "Normal People", "Intermezzo" marque encore un pas dans l'oeuvre de Sally Rooney tant elle atteint dans ce livre une densité et une profondeur exceptionnelles. On y suit l'histoire de deux frères, après le décès de leur père. Dix ans les séparent, mais c'est surtout leur différence de personnalité qui crée incompréhension et ressentiment entre eux : Ivan a 22 ans, est très mal à l'aise dans ses relations, est un génie des échecs mais ne perce pas dans le milieu. Peter, quant à lui, le plus âgé, est un avocat brillant, charismatique et séducteur. Cette période de deuil qu'ils traversent réveille les griefs anciens et font se bousculer les émotions. Avec une extrême finesse, Sally Rooney saisit ce moment charnière et rend palpable, vivant, la beauté et la complexité du lien fraternel dans notre monde contemporain.
Propre (Alia Trabucco Zeran, trad. de l'espagnol (Chili), Robert Laffont, 20€90) : Estela est bonne à tout faire au service d'un couple aisé et de leur petite fille. Elle fait le ménage, le service et s'occupe de la fillette. Elle s'occupe de tout et connait tout de la vie de ses employeurs. Elle-même n'a pas eu l'occasion de vivre la sienne. Maintenant, la fillette est morte et Estela nous explique, avec lucidité et un certain détachement, les dessous peu brillants derrière la belle façade bourgeoise et l'enchainement fatidique qui a mené à cette fin tragique. Un roman captivant, cruel et émouvant.
Maniac (Benjamin Labatut, trad. de l'anglais, Grasset, 25€10) : Un roman fascinant : l'écrivain chilien Benjamin Labatut a une manière unique de rendre vivante la science et d'en saisir les concepts les plus vertigineux. Le livre saisit trois moments clés de l'avancée des sciences, à travers l'histoire de trois chercheurs dont les intuitions sont tellement abyssales qu'elles outrepassent la raison. Ehrenberg, physicien écrasé par le concept d'incertitude ; Von Neuman, esprit sans cesse en mouvement dont les théories seront décisives (et irréversibles ?) pour l'humanité ; et Lee Sedol, champion de go battu par une intelligence artificielle. En interrogeant notre rapport à l'IA, ce roman pose des questions métaphysiques, nécessaires et angoissantes. Comment l'auteur fait-il de cette matière un page turner impossible à lâcher? Mystère, mais c'est une réussite incontestable.
La lumière vacillante (Nino Haratishwili, trad. de l'allemand, Gallimard, 27€50) : À la manière d'Elena Ferrante, Nino Haratishwili nous offre une magnifique histoire d'amitié dans la Géorgie troublée des années 90, entre effondrement de l'URSS et quête de l'indépendance. Nene la romantique, Ira l'intellectuelle, Dina, la meneuse et Keto l'observatrice, autant de superbes personnages, qu'on suit dans leurs histoires d'amour, de trahison, de révolte..., leur quête d'indépendance, aux prises avec la tragédie de l'Histoire, et toujours unies par ce lien indéfectible d'amitié.
Les derniers sur la liste (Gregory Cingal, Grasset, 22€60) : D'une plume claire et précise, traversée parfois d'éclats lapidaires, l'auteur reconstitue l'incroyable évasion de trois officiers de renseignements alliés (dont Stéphane Hessel) du camp de Buchenwald en septembre 44. Cette histoire méconnue digne d'un roman d'espionnage nous montre la complexité de l'organisation des camps, avec ses rivalités, ses kapos corrompus, ses résistants, mais c'est surtout le révélateur de l'extraordinaire courage d'une poignée d'hommes. À la fois terrible et plein d'espoir.
Ocean State (Stewart O'Nan, trad. de l'anglais (E.U.), éd. de l'Olivier, 23€50) : Une jeune fille, Birdy, est assassinée. Dès les premières lignes, nous savons qui l'a tuée. Ce roman est si réussi, si accrocheur, si diabolique qu'il nous fait malgré tout tourner les pages avec avidité : comment des gamins peuvent-ils tuer l'un des leurs? Comment les familles peuvent-elles s'en remettre? Dans la petite ville américaine, la déflagration est à la fois immense et sourde... Un roman fascinant. De l'orfèvrerie.
La famille Ruck (Katja Schonherr, trad. de l'allemand, Zoé, 23€) : Une comédie familiale trépidante et acérée qui dit aussi très bien le temps qui passe, la transmission et l'amour qui circule coûte que coûte malgré les dissenssions! Un bonheur de lecture!
L'énigme de Turnglass (Gareth Rubin, trad. de l'anglais, 10/18, 22€) : Un polar original à aborder, à votre guise, dans deux sens possibles : une seule énigme pourtant qui relie les 2 intrigues, que vous commenciez par le côté vert - l'aventure d'un jeune médecin londonien qui découvre un terrible secret lors d'une visite à Turnglass House en 1881-, ou que vous débutiez par le côté rouge- en suivant l'enquête d'un jeune homme sur la mort d'un de ses amis, un écrivain californien dont le dernier ouvrage tête-bêche s'intitulait "L'énigme de Turnglass"... en 1939. Les indices présents dans les deux parties s'emboiteront pour faire émerger l'entière vérité, pour le grand plaisir des lecteurs avides de casse-têtes !
Leo (Deon Meyer, trad. de l'afrikaans, Gallimard, 23 €) : L'excellent Deon Meyer nous revient avec son duo d'enquêteurs attachants, désormais promus à l'unité Crimes graves du poste de Stellenbosch. À la suite du décès suspect d'un avocat, ancien soldat des forces spéciales, les voilà partis dans une enquête des plus complexes , tout en jouant un contre-la-montre pour déjouer les plans d'un vol d'envergure. Au fil de cette intrigue passionnante, Deon Meyer montre aussi la gangrène de la corruption sud-africaine .
Le bruit de nos pas perdus (Benoît Séverac, La manufacture de Livres, 18€90) : Sous ce beau titre et cette couverture évocatrice se cache un roman policier profondément humain. Nous y suivons une équipe de la Crim' à Versailles, autant de personnages attachants, avec leur force et leur faiblesse, leur difficultés privées ou professionnelles. En enquêtant sur deux affaires en parallèle – un cadavre, mort de mort naturelle a été retrouvé inhumé dans le caveau d'une honorable famille versaillaise et le suicide suspect d'une jeune femme sans histoire -, nos policiers se trouvent confrontés à bon nombre des maux de la société : les migrants, l'esclavagisme moderne, la solitude, la parentalité, … Le tout est servi par la très belle plume de Benoit Séverac.
Les stripteaseuses ont toujours besoin de conseils juridiques (Iain Levison, trad.de l'anglais (E.U.), Buchet-Chastel, 22 €) : Justin Sykes, un avocat qui tire le diable par la queue, se voit offrir mille dollars de l'heure pour offrir ses conseils aux filles d'un "gentleman's club". Une aubaine inespérée pour cet habitué des affaires minables. Mais peut-être devrait-il se poser quelques questions. Drôle et cinglant, Ian Levison s'attaque au système judiciaire américain à travers une comédie noire jubilatoire.
Daniel Mason
Editeur : Buchet Chastel Réserver ou commander
Deux amoureux courent dans une forêt. Ils veulent échapper à l'étroitesse d'esprit de leur communauté puritaine. Nous sommes au XVIe siècle dans un petit coin de Nouvelle-Angleterre où quelques Britanniques se sont installés. Les jeunes gens que nous suivons dans leur fuite veulent vivre leur amour intensément, loin des conventions étriquées de la colonie. La forêt leur offre un refuge où ils décident d'installer une cabane. C'est le début d'une incroyable histoire qui se déroulera sur plus de 400 ans au milieu d'arbres majestueux. Ils seront nombreux, comme eux, à s'établir sur cette terre qui ressemble à un jardin d'Eden avec ses pommiers chargés de fruits délicieux. Chaque chapitre de ce roman-puzzle nous conte l'histoire des différents occupants de cette cabane devenue ferme, maison de campagne, refuge d'artiste. Chacun espère y trouver un havre de paix mais les bois ne sont pas prêts à se laisser dompter. Autant de destins singuliers qui hanteront les lieux.
Nina Léger
Editeur : Gallimard Réserver ou commander
Septembre 2020, Oroville. Nord de la Californie. Thea doit fuir sa maison, n'emportant qu'un maigre sac contenant quelques affaires rassemblées à la hâte. Le feu encercle la ville, menaçant les habitations, détruisant la forêt, semant la peur sur son passage. Bientôt Orovile sera défigurée par l'un de ces gigantesques incendies qui ravagent la région chaque été depuis plusieurs années. La sécheresse, l'exploitation sans cesse croissante de la rivière, l'acharnement des hommes à bétonner auront eu raison de ce coin de paradis. Pourtant tout avait commencé dans la joie lorsqu'en 1848 de l'or fut extrait de la Feather River. Mais la découverte de cette première pépite déclenchera l'inexorable folie des hommes ! Ruée vers l'or, exploitation des ressources naturelles, extermination des peuples autochtones, la machine infernale est en route. Chercheurs d'or, pionniers, aventuriers, ingénieurs, marchands, anthropologues, tous se bousculent et se succèdent dans une course effrénée vers la fortune ou la gloire. Thea, géologue de formation, a compris depuis longtemps que l'homme était capable de détruire son environnement mais elle a aussi appris depuis peu que certains de ses ancêtres avaient pris part à l'histoire d'Oroville. Déterminée à comprendre leur rôle dans cette épopée aussi fantastique que tragique, elle avait quitté San Francisco pour ce petit bout du Nord de la Californie à la recherche de réponses. Elle doit à nouveau fuir et repartir de zéro. Dans ce magnifique roman, Nina Léger nous raconte l'extraordinaire histoire d'une rivière adorée puis malmenée par les hommes qui pendant plus d'un siècle ont tenté de la dompter.
Thibault de Montaigu
Editeur : Albin Michel Réserver ou commander
Emmanuel, playboy flambeur issu de la petite noblesse désargentée, est aujourd'hui un vieil homme aveugle et en très mauvaise santé. Depuis sa résidence-service (où il coule des jours tranquilles sous l'oeil attentif de l'attentionée Nancy), il mandate son fils ainé Thibault, écrivain, pour écrire l'histoire de Louis de Montaigu. Louis était le grand-père d'Emmanuel. Capitaine pendant la première guerre mondiale, il fut l'auteur d'une charge aussi héroïque qu'inutile qui lui couta la vie durant la première guerre mondiale.
A travers ses recherches qui ne l'enchantent guère, Thibault retrace une histoire familiale pleine de rêves de grandeur brisés. Il évoque avec tendresse et justesse la paternité et une transmission loin d'être toujours sereine. Surtout, il écrit Emmanuel depuis l'enfant rêvant au chevalier blanc jusqu'au mourant.
Nous avons aimé ce roman pour son rythme distrayant et son ambiance particulière. "Coeur" n'est pas seulement un récit d'hommes. C'est un récit familial, un récit d'Histoire qui touche et marque.