Chika Unigwe, trad. de l'anglais (Nigéria) par Marguerite Capelle
Globe, 304 p. 23€
Coup de coeur pour ce roman poignant où enquête et fiction se conjuguent délicatement.
"Elles parlaient de leur enfance. Sisi inventait la sienne. Et elle était certaine que l'Albanaise aussi. Elles étaient des personnes sans aucun passé, des personnes au passé oublié, alors tout ce qu'elles pouvaient se dire était forcément du vent. Mais ça n'avait pas d'importance. Le seul fait de parler comptait bien plus que le sujet des conversations. Cela signifiait qu'il y avait encore quelqu'un pour voir davantage en vous qu'un jouet avec lequel passer le temps."
Elles sont quatre femmes. Il y a Ana, Joyce, Efe et Sisi. Depuis leur Nigéria natal, elles arrivent en Europe, direction le quartier chaud d'Anvers. Elles ont une dette à rembourser et l'espoir de gagner un peu plus d'argent en vendant leur corps. C'est l'histoire d'une conquête, celle de leur liberté. Mais un jour le meurtre de Sisi produit le désarroi. Les langues vont se délier et fusionner, la parole des femmes est en route, ivre de mémoire et d'espoir.
Dans Fata Morgana, l'autrice Chika Unigwe s'applique à dessiner les destins de ces quatre prostituées : leur itinéraire, leur vie, leurs cris (de colère ou de douleur) leurs volontés, leurs échappées. La générosité de l'autrice envers son sujet inonde chacune des lignes de ce roman important, parce qu'il dénonce tout aussi bien la traite humaine que la tristesse infinie liée au déracinement (en racontant quelles sont les causes et conséquences de cette émigration, ou ce qui relève du choix ou de l'obligation) Il y a dans ce livre quelque chose qui relève du don, de l'amour envers ses personnages qui ne peut que toucher son lecteur. Fata Morgana est un livre porté par la grâce de son écriture pleine de verve et de vie. Lire les 300 pages de ce livre, c'est y entendre un coeur qui bat en permanence.