C'est un peu le monde à l'envers : voilà que la rentrée littéraire de l'hiver devient plus importante que l'habituelle affluence d'automne. En janvier et février, pas moins de 545 romans seront envoyés par les éditeurs, contre 521 à la saison des prix. Bien sûr, il y a le Houellebecq et son lot de partisans et détracteurs. Mais d'autres grosses pointures sont déjà sur nos tables (Eric Vuillard, Pascal Quignard, Karine Tuil, Stefansson, Pete Fromm, ...) ou sont attendues très prochainement (et avec impatience pour le Pierre Lemaître, Leila Slimani ou l'excellent Nicolas Mathieu).
L'équipe d'A Livre Ouvert défriche petit à petit le terrain. Voici un premier aperçu de nos coups de coeur 2022.
555, Hélène Gestern (Arléa, 449 p., 22 €): Lors de la restauration d'un ancien étui à violon, Grégoire Coblence découvre une partition ancienne, qui semble être de la main de Scarlatti , le "Violoniste du diable", compositeur aux 555 sonates.. Bien que restant très discret, il la montre à son associé luthier, et à une claveciniste de renom. Et très vite , la partition disparait, sans avoir livré ses secrets.
L'autrice tisse autour de l'oeuvre du génial Scarlatti une trame romanesque resserrée, dans laquelle cinq personnages à la recherche de cette précieuse oeuvre musicale voient leur vie être radicalement bouleversée.
Une ascension, Stefan Hertmans, trad. du néerlandais (Gallimard, 476 p., 23 €): A l'origine, il y a cette maison à Gand, une ruine achetée par le narrateur de ce roman-enquête, dans un quartier autrefois bourgeois. Au moment de la quitter, il se rend compte que la demeure a été habitée autrefois par un nationaliste flamingant, ayant activement contribué à la collaboration nazie pendant la guerre. Dès lors, des questions surgissent : qui était cet homme qui a vécu une véritable ascension sociale grâce aux nazis ? Quelles ont été les réactions de sa femme (pacifiste) et de ses enfants? Comment s'est passé son retour dans la société après sa condamnation?
Stefan Hertmans, ce grand écrivain flamand, livre une remarquable et passionnante enquête sur un moment délicat de l'histoire belge. C'est à la fois un récit palpitant, un incroyable portrait de famille et une plongée dans l'histoire des mentalités.
Les survivants, Alex Schulman, trad. du suédois (Albin Michel, 19€90) : Nils, Benjamin et Pierre reviennent dans la maison au bord du lac où ils passaient tous leurs étés quand ils étaient enfants. Ils viennent y disperser les cendres de leur mère, selon les dernières volontés de celle-ci. C'est la première fois depuis 20 ans qu'ils retournent sur les lieux, les souvenirs ressurgissent.
L'auteur alterne les chapitres entre le passé et le présent. Il excelle à créer une ambiance pleine de mystères et de non-dits. On perçoit le malaise dans cette famille, on sent poindre un événement terrible mais sans comprendre lequel. Dans leur vie d'adultes, la colère, la tristesse des 3 frères est aussi perceptible. Jusqu'à la révélation finale, qui laisse pantois.
Un suspense familial intense, d'une grande beauté, sur les secrets de l'enfance. Magnifique.
Ton absence n'est que ténèbres, Jon Kalman Stefansson, trad. de l'islandais (Grasset, 597 p., 25 €) : Un roman impossible à résumer tant il y a de récits qui se croisent et se chevauchent, tant la narration survole les époques, tant les destinées des personnages semblent extraordinaires et couvrent toutes les facettes de l'expérience humaine. Mais à la fin de la lecture de cette incroyable construction romanesque, le lecteur garde au coeur le sentiment d'avoir lu un livre total, brassant mille pensées et sentiments, d'une folle richesse.