Parce qu’elle traîne trop à l’intérieur d’elle-même, que sa docilité aux opinions et aux normes risque de la faire disparaître, une fille décide de rencontrer le monde et de chercher la vie. Elle part loin de tout ce qui l’a sculptée et conditionnée. Il y aura dans ce voyage différents lieux et rencontres. Un bar lesbien, une maison, un immeuble, une montagne. Les souvenirs de deux parents bien trop obéissants, une fille aux yeux noirs, une vieille femme obèse ultra-directe ou des êtres sous influence. Il y aura sur sa route, des visages, des mains, des pensées. Au fil des pages, la narratrice devient une force qui renonce. Elle brûle ses papiers, s’approche des bords, des marges et des morts pour mieux se percevoir.
On ne sait jamais où nous emmène un livre, surtout quand celui-ci nous donne le vertige dès les premières pages. Mais Les forces se livre à nous, et donne beaucoup : de la théorie, de la rhétorique, de la politique, le cœur d’un secret, une structure, une langue, une sonorité (et la richesse d’une ponctuation). Tout semble là, inépuisable. La narratrice mène une odyssée et le lecteur avec elle. Les forces est un roman qui se réagence sans fin, c’est un ciel grand ouvert qui ne manque pas d’interroger, de mettre le lecteur en éveil. Puisqu’il s’agit de défaire les représentations qui nous imposent un impensé. Et le rire s’invite, dévale certaines pages de manière totalement jubilatoire (on y apprend tout de même que Simone Weber, la tueuse à la meuleuse à béton, est moins éloignée de Simone Weil que de Simone de Beauvoir). Tout s’imbrique, il y a le bonheur de l’intertextualité, les citations se fondent dans le roman, et agissent. Parce que le texte est une matière, « un mystère qui se s’épuise pas » dans lequel chacun peut puiser. Il y a une colère (les pages consacrées au discours de l’assistant social dans la Maison des Morts, sont magistrales) mais sans jamais l’esprit de sérieux. Les Forces, constamment, travaille et nuance les dimensions de notre lecture, il s’ouvre à nous depuis la terre, sans ascendance, grâce à sa prose suractive, tout en densité et en intensité imaginative et réflexive.
Les forces
Laura Vazquez
Editeur : Sous-sol Réserver ou commander