Pauline Peyrade
Editeur : Minuit Réserver ou commander
La rentrée littéraire, c'est aussi la joie de découvrir des premiers romans comme celui de Pauline Peyrade publié aux éditions de Minuit. Intitulé L'âge de détruire, ce texte raconte l'histoire de la jeune Elsa dont l'enfance se place sous l'emprise d'une mère abusive. C'est un texte foudroyant et rude sur la destruction et l'inexorabilité d'une violence tyrannique, l'histoire d'une mère qui refuse que sa fille grandisse et se construise.
Un roman profondément intense.
J’entends ma mère qui entre dans la chambre. Ses pas sont lents. Elle marche sur la pointe des pieds. Elle effleure les barreaux de l’échelle, suit le bord de la couchette du haut jusqu’au milieu du matelas. Je me terre dans l’angle. Elle grimpe sur le rebord du lit, plie son coude autour de la barrière, elle se tient, le corps tendu dans le vide. Je sens ses yeux, ils scrutent les reliefs à travers le garde-corps ajouré. Elle tâte la couette à ma recherche. Quand elle me trouve, ses doigts se referment, ils tentent d’identifier leur prise. Une masse de cheveux, une fesse, un talon. Sa main s’arrête sur mon épaule. Elle reste là, sans bouger.
Ash Davidson
Traduit de l'anglais (usa) par Fabienne Duvigneau
Editeur : Actes Sud Réserver ou commander
Rich Gundersen est bûcheron, comme l’étaient avant lui son père et son grand-père. Dans cette région côtière de la Californie du Nord, les grands séquoias sont exploités depuis des générations et offrent aux habitants une ressource qui semble inépuisable même si le danger lié à l’abattage de ces géants plane sur les familles. Colleen, sa femme, a arrêté de travailler à la naissance de leur fils, Chub. Mère dévouée, elle n’a qu’un seul souhait, avoir un autre enfant. Mais elle accumule les fausses couches et désespère de voir enfin sa famille s’agrandir. En cette année 1977, le couple vient d’affronter la perte d’un nouveau bébé. Rich se plonge dans le travail et investit toutes les économies de la famille dans l’achat d’une parcelle de bois qu’il espère pouvoir exploiter à son compte. Colleen sombre dans la dépression et cherche du réconfort en travaillant bénévolement comme sage-femme auprès des femmes de la région. Dans le comté, la tension est à son comble. Des écologistes souhaitent empêcher l’abatage des arbres centenaires pour créer un parc national, des activistes bloquent le travail des bûcherons et Daniel, un ancien camarade de classe de Colleen devenu biologiste, enquête sur la pollution de l’eau et du sol à cause des épandages organisés par la société forestière. Colleen commence à réaliser que les fausses couches et les décès de bébés qui se multiplient dans son entourage sont le résultat de l’utilisation de pesticides. Mais comment affronter la puissante compagnie qui emploie son mari et fait vivre des centaines de familles ? Dénoncer les pollueurs c’est aussi entraîner la chute de Rich qui a misé tout son argent sur une terre qui pourrait devenir inexploitable. Le fossé entre Colleen et Rich ne fait que s’agrandir, pourtant le couple est uni par un amour profond et une volonté commune de droiture.
Marie-Hélène Lafon
Editeur : Buchet-Chastel Réserver ou commander
Après son magnifique Le fils, Marie-Hélène Lafon revient ce mois-ci avec le non moins splendide Les sources où nous suivons dans les années 1970 le quotidien d'un couple et de leurs trois enfants dans une ferme isolée au coeur du Cantal. Incroyable petit roman composé de trois parties où chaque phrase se fait joyau de mots et de silence pour raconter les non dits, les secrets, les coups portés, l'asphyxie et laisse le lecteur stupéfait tant l'autrice maîtrise ses sujets : la terre, le couple, le milieu familial qui se fissure, le courage et la lumière comme ultimes issues.
Les sources est d'une beauté fulgurante.
Le dernier des siens, Sybille Grimbert (Anne Carrière, 18€90) : 1835. Gus, un jeune scientifique français, après avoir assisté au massacre de la colonie par des marins, recueille un grand pingouin blessé. Il souhaite l’envoyer, mort ou vivant, à un musée en France, dans le but de faire avancer sa carrière. Mais petit à petit, nait entre l’homme et l’animal un attachement profond et bouleversant. C’est un roman magnifique où on voit un homme commencer à prendre conscience du soin et de l’attention à apporter à une espèce plus vulnérable et dépendante de l’action de l’homme, à une époque où ces questions sont de peu d’importance.
La montagne et les pères, Joe Wilkins, trad. De l’anglais (E.U.) (Gallmeister, 23€40) : Au fil de courts chapitres, le narrateur nous fait revivre son enfance dans les plaines asséchées du Big Dry dans le Montana. Ayant perdu son père à l’âge de 7 ans, l’auteur évoque tous ces hommes bons, durs à la tâche, plutôt taiseux et pudiques, qui chacun à leur manière l’ont aidé à survivre à cette mort précoce, notamment son grand-père, un rude fermier juste et protecteur, un professeur rebelle ou un vieil ivrogne qui vient aider la famille. C’est beau, tendre , mélancolique. A découvrir absolument
Clara lit Proust, Stéphane Carlier (Gallimard, 18€50) : Clara est coiffeuse à Chalon-sur-Soane. Un jour elle trouve un exemplaire de La recherche du temps perdu dans le salon de coiffure. Elle le reprend distraitement chez elle, l’ouvre un peu plus tard encore plus distraitement, et là, c’est la révélation : Proust la comprend, et lui donne toutes les clefs pour déchiffrer sa vie, qui s’en trouvera bouleversée. Léger et pétillant, une friandise qui donne envie de se plonger dans l’œuvre de Proust.
Le royaume désuni, Jonathan Coe, trad. De l’anglais (G. B.) (Gallimard, 23€) : Un roman comme on les aime, ample, intelligent, emportant le lecteur à la suite d’une galerie de personnages, dans une grande fresque qui raconte l’histoire de la Grande Bretagne. L’auteur fait débuter cette saga familiale en 1945, et suit l’évolution de cette famille de Birmingham au fil de sept épisodes marquants de l’histoire britannique : la libération, le couronnement de la reine, la finale de la coupe du monde, le mariage de Charles et Diana, ses funérailles, l’arrivée de Boris Johnson. Absolument passionnant.
D’autres étoiles, Ingvild H. Rishoi, trad. du norvégien (Mercure de France, 17 €) : Un conte de Noël de toute beauté, à la fois douloureux, drôle et sensible. Ronya, 10 ans, et Melissa, 16 ans, vivent avec leur père, un être adorable mais totalement défaillant. Pour les deux sœurs, c’est l’heure de la débrouille afin d’assurer leur subsistance et ne pas se faire repérer par les services sociaux. Racontée par Ronya, sur un ton plein d’humour et de tendresse, une histoire qui serre le cœur et fait du bien en même temps.
La main sur le cœur, Yves Harté (Les Passe-murailles, 18€90) : Qui est le modèle du célèbre tableau du Greco « Le chevalier à la main sur la poitrine » ? D’une notice à l’autre, il s’agit d’un obscur notable ou d’un aventurier du Siècle d’or. Que croire ? Un récit qui vous emporte vers l’Espagne du XVIe siècle. La main sur le cœur est une enquête digne d’un polar historique, sur les traces du chevalier sur le tableau du grand peintre. Entre Tolède, le Prado, l’art, l’histoire, un récit sensible et passionnant.
La mémoire de l’eau, Miranda Cowley Heller, trad. de l’anglais (Presses de la Cité, 23 €) : Ellie, mariée à Peter et mère de trois enfants, retrouve un soir son amour de jeunesse Jonas, et le désir renait entre eux. Elle va devoir choisir entre sa vie paisible avec son adorable mari, ou son amour de toujours avec Jonas dont une tragédie l’avait éloigné. Dans ce premier roman, l’auteur trouve des mots justes et limpides pour décrire les ambiguités et la complexité des émotions, les secrets enfouis, les blessures d’enfance, pour construire un magnifique portrait de femme sensible.
Bones Bay, Becky Manawatu, trad. de l’anglais (N-Z) (Au vent des Iles, 23 €) : Nouvelle-Zélande aujourd’hui. Taukiri emmène son petit frère, huit ans et demi, et le confie à son oncle et à sa tante, après le décès accidentel de leurs parents. Lui-même prend la route vers l’autre côté de l’île, avec sa guitare et sa planche de surf. Le roman va faire alterner les voix de ces enfants en plein désarroi, qui cherchent à trouver leur place en ce monde et entrevoir des éclats de lumière et de poésie, au milieu de la violence de ce monde.
On était des loups, Sandrine Collette (Lattès, 20€) : Un roman noir, puissant, sauvage, qui met en scène un homme éperdu, fou de douleur après la mort de sa femme, décidé à confier son enfant terrifié à d’autres que lui, sous peine de commettre le pire. Cet homme rugueux, en marge de la société, vivant au plus près de nature, cet homme qui ne veut pas être père emmène cet enfant dans un road trip dans les grands espaces sauvages et le lecteur ne peut qu’espérer entrevoir une lueur d’humanité au bout de ce terrible voyage.
Cupidité, Deon Meyer, trad. de l’afrikaans (Gallimard, Série Noire, 20€) : Dans cette nouvelle enquête, le duo Benny Griessel et Vaughn Cupido, retrogradés au rang de simples enquêteurs pour cause d’insoumission aux ordres de leur hiérarchie, sont chargés d’éclaircir la disparition d’un étudiant en informatique. En principe, aucun lien avec ine sombre affaire de magouilles immobilières… si ce n’est la cupidité peut-être.
Deon Meyer excelle à décrire une Afrique du Sud corrompue, à travers une intrigue complexe et passionnante.
Je t’attends, Gytha Lodge, trad. De l’anglais (Fayard, 22€90) : Aurora, 14 ans, a disparu alors qu’elle campait dans les bois avec sa sœur et ses copains plus âgés. Trente ans plus tard, son corps est retrouvé. Tous les ados présents le soir de la disparition de la jeune fille forment encore une bande d’amis très soudés et occupent des fonctions importantes aujourd’hui. Pourtant le coupable pourrait bien se trouver parmi eux. L’inspecteur Sheens, en les interrogeant tour à tour fait tomber les barrières et déterre les secrets. Mais lui-même, est-il tout à fait innocent dans cette histoire ?
Gytha Lodge, une nouvelle voix du polar psychologique à découvrir.
La baignoire de Staline, Renaud S. Lyautey (Seuil, 18€50) : René Turpin, diplomate français en poste à Tbilissi, suit de près l’enquête menée par la police géorgienne sur la mort d’un jeune ressortissant de l’hexagone, retrouvé assassiné dans la chambre d’un grand hôtel. Ecrit par un écrivain-diplomate, ce roman policier plonge le lecteur dans l’histoire et la géopolitique de cette région sensible, qui a vu naître Béria et Staline. Instructif, amusant et bien écrit, c’est un plaisir de lecture.